Portrait d’initiatives internationales pour favoriser l’accessibilité des appareils électroménagers aux personnes ayant une limitation visuelle

Table des matières

Contexte. 3

La législation. 4

Des exigences minimales en matière d’accessibilité. 4

Aucune exigence légale particulière pour les appareils électroménagers  5

Quelques pas en avant, mais des limites importantes. 5

Des pressions pour un cadre légal plus contraignant. 7

Les normes internationales. 9

Des normes non contraignantes, mais essentielles. 9

Prise en considération des besoins des personnes ayant un handicap. 9

Un travail de normalisation qui s’accélère, mais qui reste incomplet 10

Les mécanismes d’évaluation de l’accessibilité. 12

Un concept encore vague. 12

Une exception : le label ADA compliant. 13

L’accès à l’information. 13

Une responsabilité qui incombe aux consommateurs. 13

Les bases de données sur l’accessibilité. 14

Des guides pour aider à choisir le bon appareil 15

La responsabilité sociale des fabricants. 16

La nécessité d’engager un dialogue constructif avec les fabricants. 16

Aider les fabricants à comprendre les problèmes d’accessibilité. 17

Conclusion. 20

Références. 21

Pour une version téléchargeable du document, cliquez sur le lien suivant : Revue littérature, électroménagers

Contexte

Les fabricants d’appareils électroménagers recourent sans cesse à de nouvelles technologies pour améliorer la performance et la qualité de leurs produits. Or, les besoins des personnes ayant un handicap en général, et des personnes ayant une limitation visuelle en particulier, sont rarement pris en considération au moment de la conception de ces produits[1].

Les boutons à crans, les interrupteurs et les cadrans à roulettes sont désormais remplacés par des dispositifs à affichage numérique, des touches à effleurement et des écrans tactiles dont les interfaces ne sont pas accessibles, sans repère de compensation tactile ni vocal.

Qu’il s’agisse de cuisinières, de réfrigérateurs ou de micro-ondes, les fonctionnalités de ces nouveaux appareils sont aussi de plus en plus avancées, avec des menus de navigation parfois extrêmement complexes, ce qui limite d’autant plus leur utilisation par les personnes ayant un handicap visuel.

Pourtant, plusieurs solutions technologiques existent déjà pour améliorer l’accessibilité de différents appareils électroniques : commandes vocales, synthèse vocale, notifications sonores, dispositifs vibrotactiles, etc.

Malheureusement, peu de fabricants intègrent ces dispositifs à leurs produits, de sorte que la vaste majorité des appareils électroménagers actuellement en vente sur le marché sont inutilisables par les consommateurs ayant une limitation visuelle sans l’aide d’une autre personne.

Par conséquent, la prolifération d’appareils électroménagers non accessibles dans les dernières années, en plus d’exposer les consommateurs à des incidents domestiques, a engendré des barrières importantes à l’autonomie des personnes handicapées et à la réalisation de leurs activités quotidiennes.

Cette fracture numérique ne cessera de se creuser tant que les solutions d’accessibilité ne seront pas mises en place par les fabricants, et ce, dès l’étape de la conception des produits.

Plusieurs initiatives internationales ont mis en lumière la nécessité de rendre ces appareils du quotidien accessibles à tous, peu importe leurs capacités, et de lutter contre cette forme de discrimination, notamment en ce qui a trait à la législation, à l’élaboration de normes internationales, à l’évaluation de l’accessibilité, à l’accès à l’information pour les consommateurs et à la responsabilité sociale des entreprises.

La législation

Des exigences minimales en matière d’accessibilité

La plupart des pays industrialisés ont ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées et adopté des mesures législatives au niveau national pour lutter contre les discriminations fondées sur le handicap. Toutefois, bien que l’accessibilité figure parmi les principes généraux de la Convention, les exigences approuvées dans les différents pays en la matière demeurent minimales.

De fait, elles concernent davantage les services que les biens, et davantage le secteur public que le secteur privé[2]. Par exemple, des lois ont été mises en place dans la plupart des pays industrialisés pour garantir l’accès physique aux bâtiments et aux services publics, et les organismes publics sont tenus de respecter certaines normes spécifiques.

De plus, ces mesures législatives sont souvent de nature très générale, stipulant que les biens et services doivent être rendus accessibles aux personnes handicapées, par des aménagements raisonnables, mais sans nécessairement préciser de quelle manière ni définir de critères spéciaux pour attester de l’accessibilité[2]. Lorsque des normes techniques sont mentionnées, elles tendent à être d’application volontaire.

Bien que certains secteurs, comme les services gouvernementaux et la construction de bâtiments neufs, soient soumis à des normes spécifiques d’accessibilité, de nombreux autres, comme celui des appareils électroménagers, relèvent de la bonne volonté des entreprises privées à mettre en place des solutions d’accessibilité.

Aucune exigence légale particulière pour les appareils électroménagers

À ce jour, il n’y a toujours pas de législation particulière pour garantir aux personnes ayant un handicap le droit d’accéder à des appareils électroménagers accessibles, bien que ces appareils soient essentiels à la vie quotidienne. L’industrie des appareils électroménagers n’est en effet soumise à aucune exigence légale particulière pour rendre ses produits accessibles à tous, ni même pour rendre accessible au moins un seul produit de chaque gamme. Les fabricants sont donc tout à fait libres d’intégrer, ou non, des dispositifs d’accessibilité à leurs produits.

Quelques pas en avant, mais des limites importantes

Quelques mesures législatives ont été adoptées aux États-Unis et dans l’Union européenne pour favoriser une plus grande accessibilité des produits de la vie courante aux personnes handicapées. Ces mesures, bien qu’elles constituent un point de départ, comportent des limites importantes, notamment pour les personnes ayant une limitation visuelle.

L’Americans with Disabilities Act, États-Unis

Aux États-Unis, l’Americans with Disabilities Act (ADA)[3], adoptée en 1990 puis révisée en 2008, vise à protéger les droits civils des personnes handicapées dans différents domaines, notamment l’emploi et les services publics. L’ADA comprend également des normes de conception (ADA Standards for Accessible Design)[4] pour rendre accessibles les nouveaux bâtiments d’habitation qui formulent une série d’exigences minimales auxquelles les entreprises doivent se conformer.

La section 804[5] de ces normes de conception concerne plus particulièrement la cuisine, et inclut des clauses relatives à certains appareils électroménagers, dont les cuisinières, dans l’objectif de faciliter leur utilisation par une personne handicapée. Par exemple, les commandes manuelles de ces appareils doivent pouvoir être actionnées d’une seule main et ne doivent pas nécessiter une prise ferme, un pincement ou une torsion du poignet. De plus, la force requise pour les actionner doit être d’un maximum de cinq livres.

Toutefois, ces normes visent plus spécifiquement à rencontrer les besoins des personnes ayant des limitations motrices, sans adresser les autres types de limitations, notamment sensorielles[1]. Ainsi, elles sont davantage focalisées sur l’environnement physique et la disposition de la cuisine que sur la conception des appareils électroménagers. En outre, les normes applicables à ces appareils sont minimales et excluent les petits appareils électroménagers comme les micro-ondes ou les machines à café.

Enfin, la portée de l’ADA demeure limitée aux nouveaux bâtiments d’habitation, et les fabricants d’appareils électroménagers n’ont aucune obligation de respecter ces normes dans le cadre de la mise en marché de leurs produits destinés au grand public.

La Directive 2019-882 relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services, Union européenne

Adoptée en 2019 par le Parlement européen, la Directive 2019-882 relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services (aussi appelée Acte législatif européen sur l’accessibilité)[6] cherche à améliorer le fonctionnement du marché intérieur des produits et services accessibles, en harmonisant les exigences en matière d’accessibilité dans les différents États membres. Les entreprises doivent ainsi bénéficier de règles communes en matière d’accessibilité dans l’Union européenne, et les personnes handicapées, d’un plus grand nombre de produits et services accessibles sur le marché et à des prix plus compétitifs.

La directive couvre les produits et les services qui ont été reconnus comme les plus importants pour les personnes ayant un handicap, entre autres les ordinateurs et systèmes d’exploitation, les distributeurs automatiques de billets, les services de téléphonie et les services bancaires. Néanmoins, les appareils électroménagers ne figurent pas sur la liste des produits couverts par cette directive, qui demeure très limitée.

Pire encore, les États membres de l’Union européenne avaient jusqu’au 28 juin 2022 pour transposer cette directive dans leur cadre législatif national, pour une effectivité au 28 juin 2025. Cependant, plusieurs États comme la France tardent encore à le faire.

Des pressions pour un cadre légal plus contraignant

Sans cadre légal contraignant l’industrie à se conformer à des normes strictes d’accessibilité, les consommateurs ayant une limitation visuelle restent ainsi dépendants du bon vouloir des fabricants. Or, les dernières années ont justement mis en lumière le manque d’intérêt et de volonté de la part des fabricants pour répondre aux besoins de ce groupe de consommateurs, sous prétexte que la mise en œuvre de solutions d’accessibilité engendrerait des coûts supplémentaires pour les entreprises.

Plusieurs associations de défense des droits des personnes ayant une limitation visuelle se sont mobilisées pour dénoncer la situation et réclamer un cadre légal plus contraignant à l’égard des fabricants d’appareils électroménagers. Elles ont exprimé la nécessité de ne plus laisser les enjeux d’accessibilité au bon vouloir des fabricants et de les soumettre à des normes obligatoires pour garantir la réelle accessibilité de leurs produits.

Aux États-Unis, la National Federation of the Blind a lancé en 2012 son projet The Home Appliance Accessibility Act[7]. Il s’agit d’une proposition de projet de loi, visant à établir des normes d’accessibilité minimales auxquelles les fabricants devront se conformer avant la mise en marché de leurs appareils électroménagers. Il est aussi proposé que des sanctions soient infligées aux fabricants qui refuseraient d’appliquer ces normes.

En France, quatre associations — Valentin Haüy, la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes, la Fédération des aveugles de France et Voir Ensemble — se sont réunies en 2019 pour interpeller les futurs élus européens autour de quatre thèmes fondamentaux, dont l’un était l’impératif de rendre les appareils électroménagers accessibles à tous avant leur mise en vente sur le marché européen[8]. Ces associations réclament l’élargissement de la directive européenne 2019-882 aux appareils électroménagers, afin que les fabricants soient contraints de respecter un cahier des charges rigoureux en matière d’accessibilité pour recevoir une autorisation de mise en marché.

Toujours en France, l’association Rétina France propose quant à elle d’imposer aux fabricants la mise en place de notifications vocales, qui doivent pouvoir être activées sur tous les types d’appareils électroménagers[9].

Les normes internationales

Des normes non contraignantes, mais essentielles

Si la plupart des pays s’entendent sur le principe d’améliorer l’accessibilité des biens et services pour favoriser la participation sociale et l’autonomie des personnes ayant un handicap, la question reste à savoir de quelle manière y parvenir.

À cet effet, des normes ont été élaborées par différents organismes internationaux pour guider les entreprises dans la mise en œuvre de solutions d’accessibilité, notamment l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et la Commission électrotechnique internationale (CEI) au niveau international, et le Comité européen de normalisation (CEN) au niveau européen. Regroupant des experts ainsi que des représentants de l’industrie et de la société civile, ces organismes développent et publient des normes visant à garantir la qualité, la sécurité et l’efficacité des produits et services.

Bien que ces normes soient généralement d’application volontaire, donc non contraignantes, elles constituent un outil essentiel pour promouvoir les enjeux d’accessibilité. Régulièrement mises à jour pour refléter les dernières avancées technologiques et les meilleures pratiques, ces normes contribuent à l’évolution des connaissances techniques pour favoriser une plus grande accessibilité de différents types de produits, dont les appareils électroménagers. Les entreprises qui le souhaitent peuvent ainsi s’appuyer sur des normes déjà existantes pour appliquer des solutions d’accessibilité lors de la conception de leurs produits.

Prise en considération des besoins des personnes ayant un handicap

Grâce à certains organismes de défense des droits des consommateurs qui ont milité pour la prise en compte des besoins des personnes ayant un handicap dans l’élaboration et la révision des normes, celles-ci ont grandement évolué.

En Europe par exemple, la première génération des normes relatives à la sécurité des appareils électroménagers, la série EN 60335[10], définie par le CEN à partir des années 1970, comportait des clauses de non-responsabilité, présumant que les personnes handicapées n’utiliseraient ces appareils que sous la supervision d’une autre personne. Leurs besoins n’étaient donc pas du tout pris en compte dans la définition des normes de sécurité de ces appareils.

ANEC, un organisme de défense des consommateurs européens dans le domaine de la normalisation, mène une campagne depuis 2005 pour la révision de cette série de normes, jugeant discriminatoire la clause de non-responsabilité envers les personnes handicapées et militant pour que toute personne, peu importe ses capacités, puisse utiliser ces appareils de manière sécuritaire[11]. Son plaidoyer a conduit à la création d’un groupe de travail chargé de réviser les normes existantes pour tenir compte des besoins des personnes handicapées et assurer que l’utilisation des appareils électroménagers soit sécuritaire pour tous. Par conséquent, certains risques liés à l’utilisation de ces appareils par une personne ayant un handicap ont désormais été pris en considération. ANEC poursuit son travail de lobbying pour la révision des normes au niveau européen, ainsi qu’au niveau international[12].

Un travail de normalisation qui s’accélère, mais qui reste incomplet

Le travail d’élaboration et de révision de normes relatives à l’accessibilité s’est accéléré dans les dernières années, mais demeure incomplet pour répondre aux besoins des consommateurs ayant une limitation visuelle.

En 2021, l’ISO a mis à jour son Guide pour l’intégration de l’accessibilité dans les normes (ISO/IEC 71:2014)[13] ainsi que ses Données ergonomiques destinées à être utilisées dans le cadre de l’application du Guide ISO/IEC 71:2014 (ISO/TR 22411:2021)[14]. Ces deux outils, qui s’adressent plus spécialement aux normalisateurs, visent à assurer la prise en compte des questions relatives à l’accessibilité lors de l’élaboration ou de la révision des normes. Les données ergonomiques sont particulièrement importantes pour les aider à comprendre les caractéristiques découlant de différentes déficiences sensorielles, physiques et cognitives, et à appliquer des solutions concrètes pour favoriser l’utilisation des produits par le plus large éventail possible de personnes, peu importe leurs capacités.

Cependant, les normes internationales existantes relatives à l’accessibilité des appareils électroniques ont été définies principalement dans le contexte de l’utilisation d’un site Web ou d’un logiciel, et sont difficilement transférables à la conception d’un produit manufacturé puisque le comportement des utilisateurs d’une interface graphique est différent de celui des utilisateurs d’une interface physique[1].

Encore peu de normes internationales relatives à l’accessibilité concernent spécifiquement les appareils électroménagers. Une seule a été publiée en 2020 par la CEI, Accessibilité des éléments de commande, portes, abattants, tiroirs et poignées (IEC 63008:2020)[15], fournissant des orientations aux fabricants quant à l’accessibilité des éléments de commandes de leurs appareils électroménagers, notamment des éléments de commandes tactiles. Sa portée est toutefois limitée par le fait qu’elle ne couvre pas certaines technologies comme les commandes vocales. De plus, cette norme est insuffisante pour la conception d’un appareil électroménager accessible dans son ensemble et ne permet pas non plus l’évaluation complète de l’accessibilité globale d’un tel appareil.

Du côté des petits appareils électroménagers, la CEI a publié en 2015 une liste détaillée des spécifications techniques recommandées pour favoriser l’utilisation d’un grille-pain par des personnes ayant un handicap, Electric toasters for household and similar use – Methods and measurements for improving accessibility (IEC TS 62835:2015)[16].

Enfin, malgré les normes et les spécifications techniques existantes, le problème demeure le manque d’intérêt et de volonté de la part des fabricants à appliquer ces principes, principalement en raison de l’absence d’exigences légales à ce sujet.

Les mécanismes d’évaluation de l’accessibilité

Un concept encore vague

L’accessibilité reste un concept encore vague dont la formulation ne fait pas l’objet d’un consensus, pas même au sein des organismes de normalisation[17]. Par exemple, la majorité des documents publiés par l’ISO contenant le terme « accessibilité » ne donnent aucune définition de ce terme ou aucun lien vers une définition[17]. Malgré les exigences croissantes en matière d’accessibilité, il n’existe que peu d’outils et de données pour évaluer les produits, et particulièrement les appareils électroménagers, du point de vue de l’accessibilité.

Au cours des dernières années, l’Organisation internationale de normalisation a entrepris des démarches pour concevoir des outils capables d’évaluer le niveau d’accessibilité de certains produits de consommation courante. En 2020, le groupe de travail chargé de la révision de la norme Facilité d’emploi des produits de consommation courante et des produits à usage public (ISO/TS 20282:2013)[18] a contribué à ce que des méthodes qui étaient déjà utilisées pour évaluer l’utilisabilité des produits, comme les tests par des utilisateurs, soient intégrées à l’évaluation de l’accessibilité.

Toutefois, dans le contexte où les normes relatives à l’accessibilité des appareils électroménagers sont encore peu développées, les entreprises ne disposent pas de mécanismes normalisés d’évaluation de l’accessibilité. Les consommateurs, mais aussi les fabricants, naviguent donc en zone grise pour savoir dans quelle mesure un appareil répond aux exigences d’accessibilité et si ses fonctionnalités sont plus ou moins accessibles que celles d’un autre appareil concurrent.

Une exception : le label ADA compliant

Le seul mécanisme d’évaluation de la conformité à des normes d’accessibilité ayant trait aux appareils électroménagers a été mis en place aux États-Unis. En effet, certains fabricants proposent des appareils électroménagers dits ADA compliant en vertu de l’Americans with Disabilities Act (ADA), qui fixe des normes de conception précises, principalement en ce qui a trait aux commandes manuelles de ces appareils. Les consommateurs peuvent ainsi choisir leur appareil en fonction de ce label et être assurés que ses fonctionnalités répondent à leurs besoins en matière d’accessibilité (bien que le public cible soit limité aux personnes ayant une déficience motrice). Il est aussi possible de chercher des fournisseurs adhérant aux normes de l’ADA dans un répertoire en ligne, l’ADA Compliance Directory of Professionals, Services and Goods[19].

L’accès à l’information

Une responsabilité qui incombe aux consommateurs

En l’absence d’obligation légale à l’égard des fabricants et d’exigences précises quant à l’accessibilité des différents appareils électroménagers, il est particulièrement complexe pour les consommateurs ayant une limitation visuelle de savoir si un appareil répond réellement à leurs besoins.

Au Royaume-Uni par exemple, un rapport du Research Institute for Disabled Consumers[20] souligne que les caractéristiques spécifiques permettant à une personne ayant une limitation visuelle d’utiliser une cuisinière — comme les zones de contraste élevé ou les repères tactiles — ne se retrouvent jamais toutes dans un même produit. L’appareil parfaitement accessible n’existe pas et, malheureusement, le fardeau de trouver l’information sur les caractéristiques d’accessibilité repose sur les consommateurs.

Or, le niveau d’accessibilité d’un appareil électroménager peut varier grandement d’un modèle à l’autre et d’une marque à l’autre, et il n’est pas toujours simple d’accéder à la documentation de l’appareil en question et de comprendre ses spécificités techniques.

Les bases de données sur l’accessibilité

Il existe déjà quelques initiatives pour pallier les difficultés d’accès à l’information sur l’accessibilité, en particulier pour les appareils mobiles. L’une d’elles, GARI (Global Accessibility Reporting Initiative)[21], aide les consommateurs ayant une déficience à trouver un appareil mobile dont les fonctions d’accessibilité répondent à leurs besoins particuliers. Les personnes ayant une limitation visuelle peuvent ainsi comparer les différents appareils sur le marché en fonction d’une série de critères spécifiques, comme la prise en charge de l’inversion des couleurs, la synthèse vocale ou le rétroéclairage de l’écran. Cette initiative, qui a été lancée par l’Association internationale des fabricants de téléphones mobiles, pourrait être reproduite ou élargie pour intégrer les appareils électroménagers, croit la German Association of Blind and Visually Impaired[22].

Aux États-Unis, l’Université du Wisconsin-Milwaukee a développé, en 2019, le premier outil d’information sur l’accessibilité des petits appareils électroménagers de cuisine, le SKA-AUDIT (Small Kitchen Appliance Accessibility and Universal Design Information Tool)[23]. Cet outil permet aux professionnels d’évaluer l’accessibilité et l’utilisabilité de certaines caractéristiques courantes de petits appareils de cuisine selon différents types de limitations. Les professionnels peuvent ensuite utiliser ces résultats pour aider leurs patients dans le choix d’un appareil adapté à leurs besoins ou pour effectuer les adaptations nécessaires sur un appareil. Pour le moment, l’usage de cet outil est réservé aux professionnels en réadaptation, mais pourrait être élargi ultérieurement au grand public, aux fabricants et aux détaillants.

Des guides pour aider à choisir le bon appareil

Plusieurs associations tentent d’offrir du soutien aux personnes ayant une limitation visuelle dans le choix d’un appareil électroménager adapté à leurs besoins.

Au Royaume-Uni, le Research Institute for Disabled Consumers a mené une enquête sur l’accessibilité des appareils de cuisine en vente sur le marché. À la suite de groupes de discussion et de visites en magasin, l’équipe de recherche a identifié une série de caractéristiques susceptibles de favoriser l’utilisation sécuritaire de ces appareils par une personne ayant une limitation visuelle. Le rapport Choosing cookers, ovens, hobs and microwaves présente les caractéristiques à rechercher, comme les zones de contraste élevé ou les repères tactiles, et celles à éviter, comme les écrans lisses, afin d’aider les consommateurs à choisir l’appareil le plus adapté à leurs besoins[20].

Aux États-Unis, l’American Foundation for the Blind a elle aussi publié un guide à l’attention des consommateurs ayant une limitation visuelle, We’re Cooking Now : A Guide to the Accessibility of Major Appliances[24]. Celui-ci donne un aperçu des enjeux d’accessibilité liés aux principaux appareils électroménagers sur le marché et fournit des astuces pour améliorer leur utilisabilité.

La responsabilité sociale des fabricants

La nécessité d’engager un dialogue constructif avec les fabricants

Bien qu’elle ne soit pas suffisante à elle seule pour améliorer l’accessibilité des produits de consommation, la sensibilisation des entreprises à l’égard des enjeux d’accessibilité demeure essentielle pour que les besoins des personnes ayant une limitation fonctionnelle soient pris en considération.

Dans les dernières années, même si la situation a commencé à évoluer, l’industrie s’est montrée peu sensible aux problèmes d’accessibilité engendrés par une conception inadaptée de leurs appareils, et peu encline à favoriser des approches de conception plus inclusives, qui prendraient en considération les besoins de la diversité des consommateurs.

En Australie par exemple, la Australian Human Rights Commission dénonce depuis une quinzaine d’années la dichotomie entre les produits « ordinaires », conçus pour les « personnes ordinaires », et les produits « spéciaux », conçus pour des groupes spécifiques de personnes handicapées[25]. Les approches de conception plus inclusives ne devraient pas être séparées de la conception des produits de consommation de masse. Or, les fabricants ont généralement eu tendance à considérer les deux comme étant mutuellement exclusives.

Le défi consiste donc à renverser cette dichotomie et à faire en sorte que les personnes ayant un handicap ne soient plus considérées par les fabricants comme un groupe spécial et différent, mais comme des consommateurs à part entière sur le marché. À cet égard, le Royaume-Uni a édicté une charte de l’inclusion numérique, la UK Digital Inclusion Charter[26], que les entreprises sont encouragées à signer et qui stipule entre autres que les personnes ayant un handicap devraient pouvoir accéder aux technologies de l’information au même titre que le reste de la population. Ce type d’initiative pourrait être envisagé pour l’accessibilité aux appareils électroménagers et autres appareils électroniques[25].

Aider les fabricants à comprendre les problèmes d’accessibilité

L’un des obstacles rencontrés par les fabricants qui souhaitent concevoir des appareils électroménagers plus accessibles, outre le manque de normes internationales, est la difficulté à comprendre la diversité des caractéristiques des personnes ayant un handicap et à s’y identifier[1]. Les normes internationales existantes fournissent en effet certaines mesures et lignes directrices pour la conception des appareils, mais sans préciser le contexte d’utilisation par des personnes de capacités différentes.

Pour pallier ce manque d’information, des chercheurs de l’Université nationale de Séoul, en Corée du Sud, ont entrepris de concevoir des personas représentant différents utilisateurs ayant un handicap, dont l’une est aveugle et l’autre a une basse vision[1]. Les personas sont des représentations fictives d’utilisateurs types fréquemment utilisées en design pour aider les concepteurs à comprendre les besoins particuliers de ces utilisateurs. Dans le cadre de ce projet de recherche, les problèmes d’accessibilité de ces personas ont été identifiés, et des cartes ont été réalisées pour décrire le comportement de l’utilisateur cible, ainsi que leurs attentes, leurs frustrations et leurs besoins au moment de l’utilisation d’un appareil électroménager.

Un autre moyen pour s’assurer que les besoins des personnes ayant un handicap soient considérés dans la conception d’un produit est de les inclure dans les essais d’utilisateurs. Ces essais permettent en effet aux fabricants de comprendre comment les utilisateurs interagissent avec un produit afin d’identifier les points forts et les points faibles de leur expérience, et d’améliorer le produit, notamment du point de vue de l’accessibilité.

Aux États-Unis, l’American Foundation for the Blind offre un service de consultation en accessibilité, via le AFB Talent Lab, pour aider les fabricants à atteindre leurs objectifs en matière d’accessibilité[27]. Par exemple, elle collabore avec Samsung depuis une dizaine d’années dans la réalisation de tests utilisateurs, afin d’encourager l’innovation dans les technologies numériques pour que les produits soient accessibles à un plus large éventail de consommateurs[28]. Ce partenariat a entre autres aidé l’entreprise à mettre au point certaines solutions d’accessibilité dans leurs appareils électroménagers, comme le lecteur d’écran TalkBack, les panneaux de commande avec visibilité améliorée et les notifications sonores[29].

Un autre moyen pour aider les fabricants à mieux comprendre les enjeux d’accessibilité est de rendre visibles ces enjeux lors d’évènements professionnels comme les salons et les foires commerciales, où les entreprises font connaître leurs nouveaux produits.

En Allemagne, où a lieu chaque année le plus grand salon européen sur les nouvelles technologies, la German Association of Blind and Visually Impaired a pu présenter pour la première fois en 2016 les enjeux d’accessibilité rencontrés par les personnes ayant une limitation visuelle[22]. À cette occasion, Quatre fabricants d’appareils électroménagers ont accepté de participer au kiosque de l’association et d’exposer des produits comportant des fonctionnalités d’accessibilité. Les visiteurs, qui étaient principalement des représentants de l’industrie, pouvaient alors tester les appareils et mieux comprendre les réalités des personnes ayant une limitation visuelle. De plus, les enjeux d’accessibilité ont aussi été abordés dans le cadre de panels de discussion et de présentation de spécialistes de l’industrie, dont le thème portait sur les enjeux d’accessibilité et d’utilisabilité des appareils électroménagers. La présence de l’association à cet important salon permet d’ouvrir un dialogue constructif avec les fabricants pour susciter la prise en compte des besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Conclusion

Il apparaît évident que les besoins spécifiques des personnes ayant un handicap en général, et des personnes ayant une limitation visuelle en particulier, reçoivent encore trop peu de considération de la part des fabricants d’appareils électroménagers, de sorte que les appareils actuellement en vente sur le marché sont souvent inutilisables pour ces personnes.

Or, les appareils électroménagers sont essentiels à l’autonomie et à la réalisation d’activités de la vie quotidienne.

Au cours des dernières années, de nombreuses associations de défense des droits des consommateurs et des personnes handicapées se sont mobilisées pour mettre en lumière la nécessité de rendre ces appareils du quotidien accessibles à tous, peu importe leurs capacités, et de lutter contre cette forme de discrimination.

Si des pas en avant ont été réalisés, il reste encore beaucoup de travail à faire.

Au niveau des États, les exigences légales en matière d’accessibilité demeurent minimales ; les fabricants d’appareils électroménagers ne sont en effet soumis à aucune exigence particulière pour rendre leurs produits accessibles à tous.

Les organismes internationaux ont quant à eux amorcé l’élaboration de normes et de documents techniques en ce qui a trait à l’accessibilité de certains éléments des appareils électroménagers, comme les éléments de contrôle.

Toutefois, dans le contexte où les exigences en matière d’accessibilité sont minimales et où les normes demeurent d’application volontaire, les fabricants ont démontré peu d’intérêt envers les besoins des personnes ayant une limitation visuelle.

Il est donc absolument essentiel de favoriser le développement d’un marché plus inclusif, qui prendrait en considération les besoins d’un plus large éventail de personnes, que ce soit par des mesures législatives plus contraignantes, des mécanismes formels d’évaluation de l’accessibilité ou encore des mesures incitatives aux entreprises pour stimuler la recherche et l’innovation en matière d’accessibilité.

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