Mémoire portant sur le projet de loi no6, Loi édictant la Loi sur le ministère de la Cybersécurité et du Numérique et modifiant d’autres dispositions

Déposé à la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale du Québec

15 novembre 2021

Résumé

L’accessibilité du Web

  • Un site Web ou une application mobile qui ne respecte pas certaines normes d’accessibilité est inutilisable pour un grand nombre de personnes en situation de handicap.
  • Au Canada, les personnes de 15 ans et plus ayant des limitations représentent plus de 22% de la population.
  • Il existe un standard international, appelé WCAG 2.0, qui définit les règles d’accessibilité à respecter lors du développement d’un site
  • Un site Web respectant les standards d’accessibilité du Web permet aux personnes ayant une limitation visuelle, auditive, motrice ou cognitive de naviguer sur Internet.
  • Un site Web respectant les standards d’accessibilité du Web permet aussi aux personnes vieillissantes dont l’acuité visuelle faiblit, la motricité fine se détériore ou l’acuité auditive faiblit ainsi qu’aux personnes analphabètes et aux personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais de naviguer sur Internet.

Le gouvernement du Québec s’est doté de son Standard d’accessibilité des sites Web en 2011. Il peine cependant à le respecter et le résultat est désolant. Selon une évaluation de 2018, 68% des sites Web gouvernementaux et des sites Web des CISSS et des CIUSSS ont un niveau d’accessibilité entre « faible » et « inutilisable ».

En ne respectant pas ses propres standards, le gouvernement du Québec exclut un grand pan de la population qui n’a tout simplement pas accès aux mêmes services et aux mêmes informations.

Propositions d’amendement

Afin d’assurer une transformation numérique accessible, le projet de loi no6, Loi édictant la Loi sur le ministère de la Cybersécurité et du Numérique doit être amendé pour inclure les dispositions suivantes :

  • Une disposition obligeant les organismes publics à continuer d’offrir des services de type analogique pour éviter que la fracture numérique exclue des personnes.
  • Une disposition obligeant les organismes publics à inclure le Standard sur l’accessibilité du Web dans les contrats publics afin que les fournisseurs externes soient aussi tenus de fournir des services et des produits accessibles.
  • Une disposition donnant le mandat au ministre de la Cybersécurité et du Numérique de s’assurer que les contenus et les services offerts sur le Web soient accessibles.
  • Une disposition créant un programme pour l’accessibilité numérique visant à rendre les sites Web publics et privés plus accessibles aux personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Table des matières

À propos du Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec. 5

Précision. 5

L’accessibilité du Web. 5

L’accessibilité du Web au Québec. 7

Norme. 7

Constat 7

Un projet de loi nécessaire. 8

Proposition d’amendements au projet de loi no6, Loi édictant la Loi sur le ministère de la Cybersécurité et du Numérique et modifiant d’autres dispositions. 9

À propos du Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec

Le Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ) est une fédération regroupant 20 associations régionales et nationales. Le RAAQ représente les 450 000 personnes vivant en situation de handicap visuel vivant au Québec et a pour mission de promouvoir et de défendre les droits des personnes aveugles et malvoyantes du Québec, afin de favoriser leur intégration à part entière dans tous les domaines de l’activité humaine. Le RAAQ a développé, au courant des 10 dernières années, une expertise en accessibilité du Web.

Précision

Le RAAQ représente traditionnellement les personnes ayant une limitation visuelle. Cependant, dans le cadre de ce mémoire, l’ensemble des populations touchées par les enjeux d’accessibilité du Web sont incluses, notamment :

  • les personnes ayant une limitation visuelle ;
  • les personnes ayant une limitation auditive ;
  • les personnes ayant une limitation motrice ;
  • les personnes ayant une limitation cognitive ;
  • les personnes vieillissantes dont l’acuité visuelle faiblit, la motricité fine se détériore ou l’acuité auditive faiblit ;
  • les personnes analphabètes ;
  • les personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais.

L’accessibilité du Web

La démocratisation de l’Internet a été une révolution pour les personnes handicapées. Avec les outils d’adaptations appropriées, les personnes dont la limitation rendait l’accès à l’information difficile ont vécu une véritable ouverture sur le monde. Pensons aux personnes aveugles qui pouvaient facilement lire les journaux de manière autonome avec un logiciel de revue d’écran. Malheureusement, en se développant le Web s’est complexifié, au point de présenter de sérieux obstacles à plusieurs personnes handicapées. Voici quelques exemples d’obstacles fréquemment rencontrés sur le Web :

  • Un formulaire dont la programmation n’associe pas correctement les questions aux champs de réponse correspondants ne permet pas aux personnes aveugles de répondre.
  • Une vidéo qui n’offre pas de sous-titre est inaccessible aux personnes sourdes et à un grand nombre de personnes malentendantes.
  • Un site qui requiert obligatoirement l’utilisation d’une souris ne permet pas à une personne aveugle ou à certaines personnes ayant des limitations physiques de naviguer sur une page Web.

Pour s’assurer que le Web est accessible à tous et à toutes, peu importe leur situation, le World Wide Web consortium (W3C) a mis en place les règles pour l’accessibilité des contenus Web (WCAG) dès 1999. Comme le Web évolue rapidement, les WCAG ont été mis à jour en 2008 en une version 2.0 puis en 2018 en une version 2.1. Voici quelques exemples pour bien comprendre ce qu’inclue une page Web accessible :

  • une page Web accessible permet à l’utilisateur de choisir la taille de l’écriture et/ou les différents contrastes qui lui permettent le mieux de consulter la page ;
  • elle est rédigée dans un langage simple et à l’aide de phrases courtes ;
  • elle est rédigée de façon claire et logique dans le but qu’un logiciel de lecture d’écran permette à l’utilisateur de s’y retrouver et d’y naviguer sans référent visuel ;
  • elle a été testée par des utilisateurs pour s’assurer que tous les composants interactifs sont utilisables avec les outils d’adaptations utilisées par les personnes qui rencontrent des obstacles sur le Web.

Reconnaissant l’importance d’offrir un Web inclusif, de nombreux pays ont adhéré au WCAG 2.0. Pensons au Canada, aux États-Unis, la France, le Luxembourg et la Suisse, pour ne nommer que ceux-là.

L’accessibilité du Web au Québec

Norme

Les WCAG n’étant pas encore disponible en français en 2011, le gouvernement du Québec a développé et adopté un standard sur l’accessibilité des sites Web gouvernementaux (SGQRI-008). En 2018, le Secrétariat du Conseil du trésor a modernisé ce standard, choisissant une version adaptée des WCAG 2.0 et élargissant sa portée à l’ensemble des organismes publics visés à l’article 2 de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement.

Constat

Il est inquiétant de constater qu’en 2021, les ministères et les organismes publics sont encore incapables de respecter le standard d’accessibilité auquel ils sont soumis. Si certaines améliorations sont à noter, comme la plateforme gouvernementale unifiée quebec.ca qui présente un bon niveau d’accessibilité, très peu de sites gouvernementaux externes à cette plateforme sont réellement accessibles. Selon une évaluation menée par le Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal Métropolitain en 2018, le 2/3 des sites Web gouvernementaux testés ont un niveau d’accessibilité entre « faible » et « inutilisable ». Ce ratio inclut les sites Web des CISSS et des CIUSSS, organisations offrant des services de première ligne en Santé et en Services sociaux.

Il est cependant pire de constater que le gouvernement du Québec lui-même est incapable de considérer l’inclusion lorsqu’il pense le virage numérique. Ni la consultation citoyenne sur une stratégie numérique québécoise de 2016 ni la stratégie de transformation numérique gouvernementale 2019-2023 ne traite adéquatement de l’enjeu.

Un projet de loi nécessaire

Devant les nombreux échecs gouvernementaux en matière d’inclusion numérique, il est clair que les différentes personnes ayant occupé le poste de dirigeant principal de l’information ont été incapables d’assurer l’application du standard sous leur responsabilité. La plupart des ministères et des organismes publics soumis ont déploré le manque de ressource financière, de ressources humaines et l’absence d’expertise interne lorsque les RAAQ les ont interpellés pour discuter des problèmes d’accessibilité de leur plateforme Web.

Ajoutons que depuis la mise en place de quebec.ca, les choses semblent empirer. La plateforme unifiée étant accessible, nos interlocuteurs au sein du Secrétariat du Conseil du trésor semblent considérer qu’assez d’efforts ont été faits, légitimant par le fait même la mise en ligne de plateformes inutilisables pour plusieurs personnes handicapées. Pensons à Consultation Québec, pierre angulaire de la participation citoyenne numérique, qui présente des problèmes sérieux d’accessibilité au niveau de la barre de recherche, des boutons de vote et des menus.

Le virage que le gouvernement est en train d’opérer est nécessaire. C’est une transformation en profondeur de la façon dont le gouvernement interagit avec le public. Ces changements ne doivent écarter personne. Les risques sont cependant immenses. Les institutions démocratiques doivent réfléchir l’enjeu du Web accessible au risque d’empêcher un large pan de la population d’avoir une participation sociale active et d’accéder aux services auxquels elles ont droit.

L’État appartient à toutes et à tous, il ne doit laisser personne de côté.

Amener les standards pris ou déterminés par le Conseil du trésor en matière de Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement sous la responsabilité du ministère de la Cybersécurité et du Numérique et s’assurer le dirigeant principal de l’information agisse à titre de sous-ministre sont deux mesures du projet de Loi qui donnent beaucoup d’espoir acteurs s’impliquant en accessibilité du Web. Cela donnera l’occasion au futur ministre de la Cybersécurité et du Numérique et à son équipe d’assumer un leadership en matière d’accessibilité du Web qui manque actuellement au sein de l’appareil gouvernement.

Proposition d’amendements au projet de loi no6, Loi édictant la Loi sur le ministère de la Cybersécurité et du Numérique et modifiant d’autres dispositions

Le transfert des responsabilités reliées à l’accessibilité du Web au sein du ministère de la Cybersécurité et du Numérique est une bonne nouvelle, mais cela n’est pas suffisant. Loin de n’être qu’un standard abstrait et déconnecté du terrain, le Standard sur l’accessibilité des sites Web doit être prioritaire. Une grande partie de la population risque d’être exclue de ce virage si le gouvernement ne consacre pas une part plus importante de ressource et d’énergie à s’assurer que le virage numérique prenne en compte les principes d’accessibilité du Web.

Voici des propositions d’amendement qui pourront aider le ministère de la Cybersécurité et du Numérique à assumer son rôle de leadership dans la mise en place d’une transition numérique inclusive.

  • Insérer, après le neuvième paragraphe de l’article 3, le point suivant :

« 10o s’assurer que les organismes publics offrant des services numériques continuent d’offrir aux citoyens et aux entreprises des points de service en personne et des services téléphoniques, lorsqu’applicable. »

  • Insérer, après le dixième paragraphe de l’article 3, le point suivant :

« 11o s’assurer que les organismes publics incluent le Standard d’accessibilité des sites Web (SGQRI 008 2.0) dans les contrats adjugés par appel d’offres public et les contrats conclus de gré à gré lorsqu’applicable. »

  • Insérer, après le sixième paragraphe de l’article 5, le suivant :

« 7o veiller au respect et au maintien des normes propres à assurer que les contenus et les services offerts sur le Web sont compréhensibles, perceptibles, navigables et utilisables par toute personne, peu importe ses incapacités. »

  • Insérer, après le quatrième paragraphe de l’article 21, le suivant :

« 5o au financement d’un programme pour l’accessibilité numérique visant à rendre les sites Web publics et privés plus accessible aux personnes ayant des limitations fonctionnelles. »