COPHAN – Mémoire sur le projet de loi 70 : Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi

Source:Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN), 10 février 2016

Comme vous le savez, la Commission de l’économie et du travail tient des audience dans le but de recueillir les commentaires des divers groupes dans le cadre de l’étude du projet de loi 70: Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi. Après avoir consulté ses membres lors d’une rencontre tenue le 26 janvier dernier, le 9 février, la COPHAN a déposé et présenté son mémoire aux membres de la Commission.

En résumé, bien que la COPHAN soit en accord avec l’objectif général du projet de Loi qui vise à favoriser le développement de l’emploi, elle émet des réserve et des objections sur plusieurs dispositions proposées.

La COPHAN dénonce le caractère coercitif de certaines mesures:  le fait que ce projet de loi oblige les uns à s’inscrire dans un processus encore flou sous peine de sanctions financières et, en même tant, en exclut d’autres, les personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi qui veulent bénéficier de mesures de soutien.

De plus, la COPHAN considère que ce projet de Loi vient renforcir les préjugés selon lesquels certains ne veulent pas sortir de la pauvreté pendant que d’autres ne sont pas employables.

Dans son mémoire, la COPHAN propose différentes solution pour que les personnes ayant des limitations puissent elles aussi bénéficier de divers soutien pour développer leur parcourt professionnel. Elle suggère finalement différentes pistes d’actions pour que les personnes ayant des contraintes à l’emploi et celles qui ne peuvent espérer travailler bénéficie de mesures particulières pour sortir de la pauvreté et de l’exclusion.

Si vous souhaitez visionner la participation de la COPHAN à la Commission, veuillez vous rendresur le site Web de l’Assemblée nationale du québec.

Mémoire sur le projet de loi 70 : Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi

Remis par la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec à la Commission de l’économie et du travail, février 2016

CONTENU

  • Introduction
  • Présentation de l’organisme
  • Portrait de situation
  • Coup d’œil sur le projet de loi 70
  • Modifications à la Loi sur le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et sur la Commission des partenaires du marché du travail
  • Plans d’action
  • Représentation de la force de travail
  • Gratuité des services
  • Programme objectif emploi
  • Ouverture du programme à toutes et à tous
  • Rejet du caractère obligatoire du programme
  • Modifications à la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles
  • En marge du PL70
  • Personnes non employables en raison de limitations trop importantes
  • Cohérence entre la vision et les actions
  • Conclusion
  • Recommandations de la COPHAN concernant le projet de loi 70
  • Annexe : Recommandations de la COPHAN – Consultation Solidarité et inclusion (2016)

Introduction

Présentation de l’organisme

La Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN), organisme d’action communautaire autonome de défense collective des droits incorporé en 1985, a pour mission de rendre le Québec inclusif afin d’assurer la participation sociale pleine et entière des personnes ayant des limitations fonctionnelles et de leur famille. Elle regroupe plus de 60 organismes et regroupements nationaux, régionaux et locaux de personnes ayant des limitations fonctionnelles de toutes les régions du Québec. Elle représente toutes les limitations fonctionnelles : motrices, organiques, neurologiques, intellectuelles, visuelles, auditives, troubles d’apprentissage, troubles du langage, troubles du spectre de l’autisme et problèmes de santé mentale.

Portrait de situation

Les personnes ayant des limitations fonctionnelles constituent un groupe de la société aux caractéristiques et réalités personnelles très variées. Certaines travaillent, d’autres ne travaillent pas. Ces situations comportent toutes deux plusieurs déclinaisons.

Parmi les personnes ayant des limitations fonctionnelles qui travaillent, on retrouve notamment :

    • Celles qui travaillent à temps plein dans des fonctions qui correspondent à leurs aspirations et à leur formation, ce qui leur permet de subvenir à leurs besoins;
    • Celles qui occupent un emploi qui ne correspond pas à leurs aspirations ou à leur formation, soit parce qu’elles n’ont pas réussi à se faire embaucher dans leur domaine, soit parce qu’elles plafonnent à un échelon inférieur en raison de la discrimination systémique envers les personnes en situation de handicap, mais qui leur permet tout de même de subvenir à leurs besoins;
    • Celles qui travaillent, mais dépendent également d’autres régimes pour subvenir à leurs besoins (ex : RRQ, CSST).

Notons que certaines personnes ayant des limitations fonctionnelles qui travaillent bénéficient de mesures de soutien telles le Contrat d’intégration au travail (CIT) ou le Programme de subvention aux entreprises adaptées (PSEA).

Les personnes ayant des limitations fonctionnelles qui ne travaillent pas se divisent également en plusieurs catégories :

      • Celles qui sont prestataires du programme d’aide sociale, dont certaines bénéficient d’une allocation supplémentaire pour contrainte temporaire à l’emploi (CT);
      • Celles qui sont prestataires du programme de solidarité sociale (PSS), car elles ont une contrainte sévère à l’emploi (CSE) reconnue;
      • Celles qui touchent une rente d’invalidité de la Régie des rentes du Québec (RRQ);
      • Celles qui touchent une indemnisation de la part de la CSST, de la SAAQ, de l’IVAC ou d’assurances privées;
      • Celles qui dépendent de leur conjoint(e) qui a un revenu;
      • Celles qui ont accès à des activités socioprofessionnelles et communautaires pour s’occuper et être actives et celles qui n’y ont pas accès;

Cette énumération ne se veut pas exhaustive, mais vise à illustrer la diversité des situations vécues par les personnes ayant des limitations fonctionnelles. De plus, la COPHAN tient à souligner la pauvreté récurrente des parents et des proches de personnes ayant des limitations fonctionnelles, dont certains doivent quitter leur emploi ou réduire leurs heures de travail afin de s’occuper d’une personne qui leur est chère.

Il est très difficile de chiffrer le nombre de personnes se situant dans chacune de ces catégories, car nous disposons de peu de données au sujet des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Lorsqu’elles existent, ces données manquent d’uniformité, ce qui les rend difficilement utilisables à des fins de comparaison. C’est un constat qui ressort d’ailleurs du Bilan 2008-2013 de la Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées.

Recommandation

Dans toutes les études et analyses sur l’emploi et sur l’aide sociale, inclure une analyse différenciée selon les capacités, afin de bien faire ressortir les enjeux propres aux personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Coup d’œil sur le projet de loi 70

La COPHAN considère que le PL70 dans son ensemble incarne deux préjugés, le premier étant que la pauvreté est un choix. En adoptant une approche coercitive envers les personnes faisant une demande d’aide de dernier recours, le gouvernement envoie le message qu’il considère que ces personnes préfèrent vivre de l’aide sociale plutôt que travailler.

Le deuxième préjugé incarné par le PL70 est celui voulant que les personnes ayant des limitations fonctionnelles ne puissent pas ou ne veuillent pas travailler. En effet, plusieurs des programmes s’adressant aux personnes ayant des limitations sont exclus du champ d’application du projet de loi et les programmes créés par ce projet de loi ne prévoient aucune mesure pour les inclure. Par sa volonté de protéger les personnes en situation de handicap des probables effets appauvrissants de son projet de loi, le ministre perpétue les préjugés envers elles.

La COPHAN constate que la vision véhiculée par le PL70 entre en contradiction avec d’autres actions du gouvernement, notamment la consultation Solidarité et inclusion, en vue du troisième plan d’action sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, qui vient tout juste de s’achever, et la Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées, pour laquelle nous sommes toujours en attente de la phase 2.

Modifications à la Loi sur le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et sur la Commission des partenaires du marché du travail

Plans d’action

La COPHAN voit d’un bon œil l’obligation qui est donnée au ministre, avec l’aide de la Commission des partenaires du marché du travail (ci-après, la Commission), de préparer un plan d’action annuel en matière de main-d’œuvre et d’emploi. Afin de s’assurer que les personnes ayant des limitations fonctionnelles bénéficient des retombées de l’article 3.1 proposé, les membres représentants doivent pouvoir compter sur une expertise interne à leur organisation pour les appuyer sur les enjeux spécifiques reliés aux personnes ayant des limitations fonctionnelles. Lorsque cette expertise est inexistante, les membres de la Commission doivent avoir accès à des représentants des personnes ayant des limitations fonctionnelles pouvant les informer au sujet des difficultés rencontrées par ces dernières en matière d’emploi.

Pour ce faire, au-delà des recommandations faites par la Commission, le processus de consultation du ministre en vue de l’établissement des plans d’action annuel doit comporter une interface permettant une interaction avec le milieu communautaire, notamment la COPHAN. La même logique de concertation doit s’appliquer aux échelles régionale et locale.

Recommandation

Que le milieu communautaire autonome des personnes ayant des limitations fonctionnelles, notamment la COPHAN, soit consulté dans le processus d’élaboration des plans d’action annuels du ministre et que la même logique de concertation s’applique aux échelles régionale et locale.

Représentation de la force de travail

Le PL70 ajoute à la Commission la fonction de formuler des recommandations à divers ministères en vue de répondre aux besoins du marché du travail. Il faut garder en tête qu’une logique de marché comporte deux composantes interdépendantes : l’offre et la demande. Une des raisons d’être de la Commission est de favoriser l’arrimage entre les entreprises et les travailleurs, qui dépendent les uns des autres.

La composition de la Commission doit refléter cette réalité. Or, sa composition actuelle ne permet pas une représentation adéquate des personnes précisément visées par le PL70 : celles qui peuvent travailler, mais qui, pour une raison ou pour une autre, ne sont pas en emploi. Des représentants d’organismes œuvrant dans les domaines de la main-d’œuvre et de l’emploi siègent à la Commission, mais ces derniers ne peuvent pas prétendre parler au nom de ces personnes. Ils y sont pour défendre leurs propres intérêts, ce qui est tout à fait légitime et nécessaire. Cela dit, plusieurs personnes en recherche d’emploi n’ont pas recours à leurs services ou sont insatisfaites de ces services et elles doivent avoir accès à un espace pour défendre leurs intérêts et exprimer leurs suggestions.

Recommandation

Que des membres représentants des personnes disponibles à l’emploi fassent partie de la Commission des partenaires du marché du travail.

Gratuité des services

Suivant le principe d’accessibilité des services défendu par la COPHAN, les services disponibles en matière d’aide sociale, de solidarité sociale ainsi que les services de soutien au développement de l’employabilité et des capacités à l’entrepreneuriat doivent être gratuits, d’autant plus que les chiffres démontrent que les personnes ayant des limitations fonctionnelles sont nombreuses à vivre en situation de pauvreté. À cet égard, la COPHAN demande le rejet de la proposition d’ajouter l’article 3.2 à Loi sur le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, qui permettrait au gouvernement de facturer l’utilisation des services de main-d’œuvre et d’emploi.

Recommandation

Que la proposition d’ajouter l’article 3.2 à la Loi sur le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale soit rejetée.

Programme objectif emploi

La COPHAN saisit l’intérêt du Programme objectif emploi et est en accord avec le fait d’accorder des mesures incitatives aux personnes qui décident d’entreprendre des démarches d’employabilité afin de ne plus dépendre des programmes d’assistance sociale. Le caractère proactif du programme, qui cible les premiers demandeurs, s’inscrit d’ailleurs dans la vision qui se dégageait du cahier de consultation relatif à la deuxième phase de la Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées. De façon générale, la COPHAN adhère au principe de prévention et convient qu’entreprendre des démarches rapidement est un moyen efficace pour contrer l’éloignement du marché du travail.

Ouverture du programme à toutes et à tous

Afin d’être pleinement cohérent avec les autres actions gouvernementales en matière d’emploi, le Programme objectif emploi devrait être ouvert à toutes les personnes. Or, dans le projet de loi tel que présenté, la participation au Programme objectif emploi sera obligatoire pour les personnes bénéficiant du Programme d’aide sociale faisant une demande d’aide financière de dernier recours (nouvel art.83.1). Cela sous-entend que les personnes bénéficiant du Programme de solidarité sociale en raison de leurs limitations fonctionnelles seront exclues du Programme objectif emploi.

La COPHAN déplore le fait que ces dernières se voient accorder un statut particulier et qu’elles soient, par conséquent, exclues des avantages potentiels du nouveau Programme objectif emploi. Eu égard au droit à l’égalité protégé par les Chartes québécoise et canadienne des droits et libertés, les personnes ayant des limitations fonctionnelles doivent avoir accès à ce programme au même titre que les autres prestataires d’aide financière de dernier recours. Les critères d’admissibilité de ce nouveau programme ne doivent pas servir à renforcer la stigmatisation ainsi que l’exclusion sociale et économique de cette partie de la population. Les personnes ayant des limitations fonctionnelles doivent donc être intégrées à part entière au Programme objectif emploi et ainsi avoir un accès égal aux prestations et aux indemnités prévues par ce programme.

Suivant cette idée, les besoins particuliers des personnes ayant des limitations doivent être pris en considération lors de l’élaboration et la mise en œuvre du nouveau Programme objectif emploi. La structure et la gestion du programme doivent être suffisamment flexibles afin de pouvoir s’adapter aux diverses situations et caractéristiques des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Rappelons ici le devoir d’accommodement raisonnable prévu par les Chartes québécoise et canadienne des droits et libertés. Certains aspects du Programme objectif emploi, tel que proposés dans le projet de loi, seraient évidemment déraisonnables si appliqués avec rigidité aux personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Recommandation

Que les personnes ayant des limitations fonctionnelles bénéficiant de prestations du Programme de solidarité sociale soient admissibles au nouveau Programme objectif emploi et qu’elles bénéficient des mêmes avantages qui y sont reliés, compte tenu des adaptations nécessaires.

Rejet du caractère obligatoire du programme

Partant de l’idée que le Programme objectif emploi doit être ouvert à toutes les personnes, la COPHAN rejette son caractère obligatoire. Comme mentionné en début de document, la COPHAN est en désaccord avec le caractère coercitif du Programme Objectif emploi, qui laisse entendre que si elles ont le choix, les personnes choisiront de ne pas entreprendre des démarches d’employabilité ou qu’elles refuseront des emplois convenables.

Outre l’obligation, pour les prestataires du Programme d’aide sociale, de participer au Programme objectif emploi, le projet de loi prévoit la possibilité de forcer un individu à accepter tout emploi convenable qui lui est offert, ou de l’obliger à maintenir son lien d’emploi pour la durée de sa participation au programme (nouvel article 83.4), sous peine de réduction du montant de sa prestation d’aide sociale (nouvel article 83.10). Or, les circonstances individuelles des personnes ayant des limitations fonctionnelles (difficultés relatives au transport, logement accessible difficile à trouver, besoin de congés pour réadaptation ou rendez-vous médicaux, etc.) pourraient rendre difficile — voire impossible — le respect des exigences du programme. Les mesures prévues dans les plans d’intégration en emploi des individus ayant des limitations fonctionnelles doivent être adaptées à leurs besoins particuliers, et elles doivent, bien sûr, être réalisables. Le cas échéant, le choix de l’emploi convenable doit prendre en compte les capacités et les limitations propres à chaque individu.

Recommandation

Que la participation au Programme objectif emploi se fasse sur une base volontaire et que sa structure et sa mise en œuvre tiennent compte des besoins particuliers des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Modifications à la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles

La COPHAN salue la possibilité accordée au ministre de prévoir des assouplissements de certaines règles applicables aux prestataires du PSS en ce qui concerne les biens et l’argent reçus par succession (article 26 du PL70). Toutefois, aucune exemption n’est prévue pour les gains reçus par donations entre vifs. La COPHAN considère que cette restriction est arbitraire et que la possibilité de prévoir des assouplissements aux règles de l’aide sociale devrait s’étendre à d’autres situations.

Une plus grande flexibilité est nécessaire afin de réagir adéquatement à la réalité des personnes ayant des limitations fonctionnelles, qui assument des dépenses supplémentaires pour pallier les situations de handicap auxquelles elles sont confrontées au quotidien. Par exemple, elles doivent souvent défrayer les coûts reliés aux aides techniques non couvertes par les programmes ainsi qu’aux médicaments non prescrits, mais obligatoires. Afin de pouvoir assumer ces coûts supplémentaires, ces personnes doivent souvent trouver des fonds en provenance de diverses sources extérieures, incluant des dons provenant de leurs proches ou de fondations. Or, sous le régime actuel, une personne ne peut recevoir plus de 100$ sans voir sa prestation totalement coupée.

La même règle du 100$ s’applique concernant les revenus d’emploi. Or, certaines personnes ayant une CSE reconnue peuvent et veulent travailler quelques heures par semaine, dans la mesure de leurs capacités, afin d’améliorer leur sort. Le programme de solidarité sociale propose actuellement un revenu équivalent à 22,4 heures de travail par semaine au salaire minimum. Si on ajoute les incitatifs fiscaux d’un travail à temps partiel, mais qu’on retranche le coût des impacts de ce travail sur la vie quotidienne, par exemple en ce qui concerne les transports, l’allocation logement, certains aspects du carnet de réclamation et le soutien à domicile, l’intérêt du travail est en effet restreint.

Finalement, les modalités du PSS au regard des conjoints de fait posent problème. Actuellement, le calcul du montant des prestations tient compte des revenus du conjoint de la personne, si les deux vivent sous le même toit. Une telle façon de procéder revient à nier l’autonomie financière des personnes ayant des limitations fonctionnelles, leur imposant une situation de dépendance vis-à-vis leur conjoint, et ce, même si ce dernier n’a pas un revenu très élevé. Considérant le fait que les prestataires du Programme de solidarité sociale ont pour la plupart des limitations fonctionnelles importantes et que pour plusieurs d’entre eux, le conjoint joue – parfois malgré lui – un rôle d’aidant naturel, il est clair que cette règle de calcul accentue la vulnérabilité de ces personnes. Soulignons également que de nombreuses personnes font le choix de ne pas avoir de vie affective et amoureuse ou de ne pas faire vie commune avec leur partenaire pour éviter une telle situation d’extrême déndance. La COPHAN juge alarmant qu’un programme dit de solidarité sociale ait des impacts aussi négatifs sur le droit des personnes à une vie affective et amoureuse.

Recommandation

Que le ministre puisse prévoir des assouplissements aux règles concernant les biens et l’argent reçus par succession et les gains d’emploi ainsi qu’aux règles de calcul s’appliquant aux prestataires du Programme de solidarité sociale vivant sous le même toit que leur conjoint.

En marge du PL70

Personnes non employables en raison de limitations trop importantes

La COPHAN reconnaît que malgré la prise d’action et la mise en place de mesures adéquates pour favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap, un certain nombre d’entre elles ont des limitations trop importantes pour que l’emploi soit envisageable. Sur cette question, différentes avenues doivent être explorées pour leur assurer un revenu décent. À cet égard, notre réflexion est notamment alimentée par les travaux du Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD) sur un programme de revenu de base pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles. De plus, afin d’éviter que l’état de santé global de ces personnes ne se détériore en raison de leur exclusion sociale, il est essentiel de prévoir l’accès à des activités socioprofessionnelles ou communautaires enrichissantes et valorisantes.

Cohérence entre la vision et les actions

La COPHAN souhaite manifester son agréable surprise face à la reconnaissance, dans la Stratégie gouvernementale de développement durable 2015-2020, de l’emploi comme vecteur d’inclusion sociale, notamment pour les personnes en situation de handicap. En insistant sur l’importance de l’accessibilité des lieux, la Stratégie reconnaît que l’environnement peut être un obstacle à l’employabilité des personnes ayant des limitations fonctionnelles et qu’il est possible d’agir sur ce dernier pour réduire son impact négatif sur la vie des personnes.

La COPHAN apprécie également le fait que diverses initiatives gouvernementales en matière d’employabilité, dont la Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées, témoignent d’une certaine reconnaissance des difficultés particulières rencontrées par les personnes en situation de handicap.

Cela dit, il est crucial que les différentes initiatives ne se développent pas en silos et qu’elles viennent plutôt se compléter. À cet égard, la COPHAN dénote un manque de cohérence entre la vision qui se dégage des initiatives susmentionnées et des actions sur le terrain. En effet, des mesures ayant prouvé leur efficacité depuis de nombreuses années ont pourtant fait l’objet de compressions budgétaires, notamment la mesure Contrat d’intégration au travail (CIT) et le Programme de subvention aux entreprises adaptées (PSEA). Si le gouvernement souhaite réellement incarner les principes qu’il énonce dans ses différentes politiques et stratégies, il doit faire des choix politiques et budgétaires conséquents.

Conclusion

Par le biais de ce mémoire, le message que la COPHAN désire véhiculer est que, pour la plupart, les personnes ayant des limitations fonctionnelles ont la volonté de travailler et qu’elles sont en mesure de le faire si on leur apporte le soutien nécessaire. C’est pourquoi notre organisme se positionne pour l’ouverture de Programme objectif emploi à toutes les personnes, autant celles qui bénéficient du Programme d’aide sociale que du Programme de solidarité sociale, mais rejette le caractère obligatoire du programme.

La COPHAN insiste également pour que les réalités multiples des personnes disponibles à l’emploi, y compris les personnes ayant des limitations fonctionnelles, soient représentées dans le processus d’élaboration des plans d’action annuels, notamment par le biais d’une représentation adéquate à la Commission des partenaires du marché du travail.

En marge du débat actuel sur le PL70, la COPHAN tient à souligner que de nombreuses autres pistes d’action existent pour contrer la pauvreté et l’exclusion sociale chez les personnes ayant des limitations fonctionnelles. Il y aurait notamment des assouplissements à apporter aux règles et modalités de l’aide sociale, afin de permettre aux personnes de vivre sous le même toit que leur conjoint(e) sans voir leur prestation réduite. En matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, la COPHAN invite le ministre à consulter attentivement les deux documents suivants :

        • Le Mémoire de la COPHAN dans le cadre de la Consultation Solidarité et inclusion (2016), dont les recommandations sont reprises en annexe au présent document;
        • Le Mémoire de la COPHAN concernant Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées (2013), comprenant plusieurs constats et recommandations toujours d’actualité, étant donné que nous sommes toujours en attente de la production de la phase deux de ladite Stratégie.

Recommandations de la COPHAN concernant le projet de loi 70

        1. Dans toutes les études et analyses sur l’emploi et sur l’aide sociale, inclure une analyse différenciée selon les capacités, afin de bien faire ressortir les enjeux propres aux personnes ayant des limitations fonctionnelles.
        2. Que le milieu communautaire autonome des personnes ayant des limitations fonctionnelles, notamment la COPHAN, soit consulté dans le processus d’élaboration des plans d’action annuels du ministre et que la même logique de concertation s’applique aux échelles régionale et locale.
        3. Que des membres représentants des personnes disponibles à l’emploi fassent partie de la Commission des partenaires du marché du travail.
        4. Que la proposition d’ajouter l’article 3.2 à la Loi sur le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale soit rejetée.
        5. Que les personnes ayant des limitations fonctionnelles bénéficiant de prestations du Programme de solidarité sociale soient admissibles au nouveau Programme objectif emploi et qu’elles bénéficient des mêmes avantages qui y sont reliés, compte tenu des adaptations nécessaires.
        6. Que la participation au Programme objectif emploi se fasse sur une base volontaire et que sa structure et sa mise en œuvre tiennent compte des besoins particuliers des personnes ayant des limitations fonctionnelles.
        7. Que le ministre puisse prévoir des assouplissements aux règles concernant les biens et l’argent reçus par donation et les gains d’emploi ainsi qu’aux règles de calcul s’appliquant aux prestataires du Programme de solidarité sociale vivant sous le même toit que leur conjoint.

Annexe : Recommandations de la COPHAN – Consultation Solidarité et inclusion (2016)

Emploi

        • Investir les sommes manquantes prévues à la Stratégie, soit 6,2 M$, afin que les CIT soient ouverts durant toute l’année pour les personnes ne recevant pas d’aide en vertu des programmes de solidarité sociale;
        • Augmenter les sommes allouées aux CIT, et ce, au moins au même rythme que les montants alloués aux coûts de système reliés à la mesure;
        • Que le Conseil du Trésor permette la conversion de mesures passives (aide sociale) en mesures actives (CIT), comme c’était le cas auparavant;
        • Assurer l’équité de la mesure CIT entre les différentes régions du Québec, par le biais des instances régionales et locales;
        • Évaluer la satisfaction des employés face à la mesure CIT, notamment en ce qui concerne le processus d’évaluation de la productivité et le suivi annuel;
        • Évaluer la satisfaction des employeurs face à la mesure CIT;
        • Fournir pour le prochain bilan le coût de gestion de la mesure CIT;
        • Modifier les règles pour que le CIT permette l’accès à toutes les mesures incitatives au travail, notamment la prime du travail;
        • Qu’une réflexion concertée sur le revenu de travail et autres gains permis sans réduction des versements du programme de solidarité sociale soit amorcée et qu’en attendant, le seuil d’exemption soit immédiatement relevé à au moins 200 $ par mois, soit le même montant que les personnes bénéficiant de l’aide sociale;
        • Développer et soutenir les services socioprofessionnels et communautaires pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles dont l’insertion en emploi est difficile, voire impossible;
        • Amorcer une réflexion dans le but de trouver une solution durable pour que les personnes très éloignées du marché du travail en raison de leurs situations particulières obtiennent un revenu leur permettant de sortir de l’extrême pauvreté.

Éducation et formation

      • Développer l’offre de stages et d’emplois d’été accessibles ou adaptés, notamment par le biais de la sensibilisation des employeurs et de support financier;
      • Recenser les bonnes pratiques en matière de TEVA et assurer leur transmission à toutes les régions du Québec;
      • Assouplir les conditions d’admissibilité aux programmes d’employabilité destinés aux jeunes afin de prendre en considération les réalités vécues par les jeunes ayant des limitations fonctionnelles;
      • Miser sur le recours aux nouvelles technologies afin de faciliter l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles;
      • Prévoir des activités parascolaires accessibles et inclusives.

        Soutien du revenu

        • Que la contrainte sévère à l’emploi soit reconnue sur la base d’une évaluation globale de la personne, incluant sa condition sociale et ses obligations familiales;
        • Que le mode de calcul des prestations du Programme de solidarité sociale soit modifié pour ne pas tenir compte des revenus du conjoint du prestataire;
        • Assouplir les règles d’admissibilité à la rente d’invalidité pour les personnes de moins de 60 ans ayant une limitation fonctionnelle, afin que celles-ci soient admissibles lorsqu’elles démontrent qu’elles sont incapables d’occuper leur emploi habituel;
        • Abolir la réduction de la rente de retraite pour les personnes ayant une CSE ayant touché une rente d’invalidité entre 60 et 65 ans;
        • Que les travaux sur la compensation des coûts supplémentaires reliés aux limitations fonctionnelles reprennent le plus tôt possible et que les représentants des personnes ayant des limitations fonctionnelles, dont la COPHAN, soient invités à y participer;
        • De façon immédiate, que le crédit d’impôt pour personne handicapée soit rendu remboursable et que les montants admissibles soient rehaussés et indexés annuellement.

        Moyens complémentaires pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale

        • Que le gouvernement s’assure que les personnes ayant des limitations fonctionnelles aient accès à l’ensemble des services de santé et services sociaux, tant généraux que spécifiques, ainsi qu’à toute l’information les concernant, et ce, en temps opportun;
        • Que les heures de soutien à domicile soient accordées en fonction des besoins réels des personnes;
        • Que le gouvernement se penche sur la question de la reconnaissance du travail des proches aidants afin que ceux-ci obtiennent tout le support financier et humain dont ils et elles ont besoin;
        • Que le gouvernement adopte des mesures visant à augmenter l’offre de logements accessibles et abordables sur le marché;
        • Que le gouvernement soutienne politiquement et financièrement l’émergence de solutions innovatrices en matière de logement pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles;
        • Qu’un comité de travail chapeauté par l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) soit formé sur la question de l’accompagnement au sens large et que la COPHAN y siège.