2017 – Mémoire concernant la consultation publique sur la sécurité routière mené par la Société de l’assurance automobile du Québec

Remis par le Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec

Rédaction :

Antoine Perreault, coordonnateur du RAAQ

Avec la collaboration de :

Martin Morin, agent de promotion du RAAQ

Adopté par le conseil d’administration du RAAQ

Février 2017

Table des matières

Introduction. 4

Le principe de prudence. 5

Le partage de la route. 6

Le virage à droite sur feu rouge. 7

Les véhicules électriques et hybrides. 8

Les carrefours giratoires. 11

Les feux sonores. 14

Conclusion. 16

Introduction

Le Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ) a pour mission de promouvoir et de défendre les droits des personnes aveugles et amblyopes du Québec, afin de favoriser leur intégration à part entière dans tous les domaines de l’activité humaine.

L’intégration et la participation sociales des personnes en situation de handicap visuel sont indissociables du concept déplacement. C’est pourquoi les questions de sécurité routière sont pour nous une priorité.

Ce mémoire présente différentes considérations à prendre en compte pour assurer la sécurité des personnes en situation de handicap visuel lors de leur déplacement. Loin de présenter l’ensemble des enjeux de sécurité que rencontrent les personnes aveugles et malvoyantes lorsqu’elles empruntent le réseau routier, ce document se veut plutôt un résumé des principaux sujets que nous aimerions soumettre à votre attentions lors de votre analyse de la situation en matière de sécurité routière au Québec.

Le document lié à la consultation publique identifie d’ailleurs très bien plusieurs risques inhérents avec les déplacements. Il identifie aussi plusieurs facteurs devant être pris en considération pour améliorer la sécurité des personnes. Un de ces facteurs est la visibilité. Il est même spécifié « voir les autres usagés et être vu ». Le RAAQ tient à rappeler que certains usagers de la route n’ont pas la capacité de voir. Ces personnes ont cependant le droit, comme tout le monde, d’utiliser le réseau routier et ils devraient être en mesure de le faire en toute sécurité. Cependant, il est important de souligner que les personnes aveugles et les personnes malvoyantes font face à des défis de taille pour assurer leur sécurité lors de leurs déplacements. C’est pourquoi le RAAQ est très surpris de constater qu’il n’est aucunement traité du déplacement des personnes handicapées dans le document présenté, mis à part un court paragraphe sur les aides à la mobilité motorisé.

Le principe de prudence

Le Code de la sécurité routière doit largement s’inspirer du principe de prudence, qui exige que chaque usager de la route soit tenu de toujours adopter un comportement prudent envers les usagers les plus vulnérables. Ce principe confirme que chaque usager a sa place sur les routes du Québec, et que tous ont droit à la sécurité. La réglementation doit donc à la fois favoriser le respect de ce principe, et décourager efficacement toute violation à son endroit.

Le partage de la route

La popularité des transports actifs, notamment du vélo, a entraîné une multiplication des pistes cyclables ou multifonctionnelles. Malheureusement, ces aménagements ne prennent pas toujours en compte les besoins des piétons, particulièrement ceux des personnes ayant une limitation visuelle. Cela peut les amener, à leur insu, à circuler sur une piste cyclable mal balisée, ou, dans le cas des pistes multifonctionnelles, à dévier dans la zone réservée aux cyclistes.

Il importe donc que les pistes cyclables soient complètement isolées de la zone empruntée par les piétons. Lorsqu’une situation d’exception ne permet pas cette ségrégation, il faut exiger au minimum l’aménagement d’une séparation physique facilement détectable par les personnes aveugles et malvoyantes. En l’absence de cette démarcation physique, des collisions sont prévisibles avec les cyclistes, car les personnes ayant une déficience visuelle ne les voient pas et ne les entendent pas arriver.

De plus, l’interdiction faite aux vélos de circuler sur les trottoirs doit, notre avis, être maintenue, tout comme l’obligation de s’immobiliser à un panneau d’arrêt.

Finalement, les vélos immobilisés et attachés à un arbre ou à un poteau et qui encombrent les trottoirs ou les voies de circulation piétonnières sont une source de danger, car ils sont perçus généralement à la dernière minute par les personnes aveugles et malvoyantes.

Le virage à droite sur feu rouge

Le MTQ a accordé aux automobilistes circulant à l’extérieur de l’Île de Montréal, le privilège de pouvoir tourner à droite sur un feu rouge (VDFR). Malgré la récente demande de certains maires de Montréal, le RAAQ demande à ce que l’interdiction de cette manœuvre soit strictement maintenue sur l’île de Montréal pour des raisons de sécurité majeure.

Par ailleurs, hors Montréal, force est donc de constater que le VDFR n’est pas sécuritaire non seulement pour les personnes handicapées de la vue, mais aussi pour les piétons en général. La priorité du piéton est constamment bafouée par ces automobilistes qui, en préparation à un VDFR, occupent le passage piétonnier, empêchant le piéton de traverser légitimement. Si le passage n’est pas complètement obstrué et que le piéton s’y engage, il n’est pas pour autant tiré d’affaire. Trop souvent, en effet, l’automobiliste soucieux de jouir de ce privilège a la tête tournée à gauche, démarrant dès qu’il estime avoir le temps de s’enfiler dans la circulation, percevant tardivement, ou trop tard, qu’un piéton est devant lui.

Il est tout aussi malheureux de constater que ces comportements interdits par le code de la sécurité routière font rarement l’objet de contraventions de la part des corps policiers. Pourtant selon le ministère des Transports du Québec, entre avril 2003 et décembre 2014, le VDFR a causé 246 accidents. Le RAAQ demande donc de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que cessent enfin ces comportements dangereux. Une campagne de sensibilisation tant au niveau des corps policiers qu’auprès de la population en général est plus que nécessaire pour assurer la sécurité des piétons du Québec.

Les véhicules électriques et hybrides

Dans une étude de 2009, remise à jour en 2011 et destinée au Congrès des États-Unis, la National Highway Traffic Safety Administration, il a été démontré que la probabilité qu’un accident entre une voiture et un piéton est 35% plus élevé si le véhicule est électrique. Cette probabilité grimpe à 57 % lorsque la victime est un cycliste. Dans la majorité des cas, la quasi-absence de bruit est à l’origine de l’accident. ( Référence : Rapport DOT-HS-811-526 intitulé « Incidence Rates of Pedestrian and Bicyclist Crashes  by Hybrid Electric Passenger Vehicles – An Update », octobre 2011 ). Les voitures électriques et hybrides représentent donc un réel danger pour les piétons.

Il ne faut pas se surprendre de ces résultats. En effet, tout individu a été inconsciemment éduqué au bruit urbain. Il y reconnaît normalement sans effort le type d’un véhicule, sa proximité, sa vitesse, de même que la menace qu’il peut représenter. Cet apprentissage l’amène à guider en grande partie sa mobilité dans la rue en fonction du bruit des véhicules. En présence de véhicules silencieux, le piéton est placé dans une situation de pseudo-surdité qui le prive des références sonores qui l’avertissent habituellement du danger.

Quant aux personnes aveugles ou à basse vision, elles utilisent largement le bruit de la circulation parallèle, pour conserver la trajectoire appropriée dans leurs déplacements le long des artères urbaines. Le bruit des véhicules leur est également essentiel pour déterminer le moment où il est sécuritaire de traverser à une intersection, et pour maintenir une trajectoire rectiligne durant cette traversée.

Réalisant les dangers que peuvent générer ces véhicules silencieux, plusieurs pays ont développé des normes d’émission de bruit pour les véhicules silencieux. Les États-Unis, chef de file dans ce domaine, viennent d’établir des standards obligeant ce type de véhicule à être équipé d’un bruiteur émettant un son respectant plusieurs barèmes bien défini. S’inspirant du standard américain, voici les caractéristiques essentielles des avertisseurs sonores :

  • Il importe que les bruiteurs soient obligatoires sur tous les véhicules silencieux et qu’ils répondent minimalement aux exigences suivantes :
  • Production de sons faciles à percevoir, reconnaître et localiser, ne pouvant être confondus avec d’autres bruits ambiants ;
  • Des sons distinctifs pour le démarrage, l’arrêt, le recul, l’accélération et la décélération ;
  • Émission automatique d’un son tant que la vitesse du véhicule n’excède pas les 30 kilomètres/heure. Au-delà de cette vitesse, le frottement des pneus sur la chaussée et la friction de l’air sur la carrosserie produisent suffisamment de bruit pour alerter piétons et cycliste ;
  • Impossibilité pour le conducteur de désactiver le dispositif sonore.

Le RAAQ constate que le gouvernement provincial entend réduire la dépendance au pétrole et diminuer les émissions de gaz à effet de serre dû au transport, ce que nous saluons. Cependant, pour y parvenir, l’une des mesures phares de l’administration publique est de favoriser une large utilisation des véhicules électriques, à la fois par les particuliers et par les Sociétés de Transport collectif, municipal, scolaire ou autres. Le but est d’atteindre la cible ambitieuse de 100 000 véhicules du genre sur les routes en 2020. Il est simple de comprendre que si aucune norme n’est adoptée pour l’émission d’un son efficace pour les véhicules électriques et hybrides, d’ici 2020 il y aura 100 000 menaces supplémentaires pour les piétons et les cyclistes sur les routes du Québec.

Le Québec a le devoir d’obliger les véhicules silencieux roulant sur le réseau routier québécois à émettre un son respectant les normes présentées ci-haut. Nous vous demandons cette action pour assurer la sécurité des piétons circulant sur les routes du Québec.

Les carrefours giratoires

Le carrefour giratoire est présenté par le Ministère des Transports du Québec comme offrant une grande sécurité aux usagers de la route tout en permettant une bonne fluidité de circulation. Apparu sur le réseau routier québécois au début des années 2000, c’est un aménagement de plus en plus populaire. En 2014, 42 carrefours giratoires avaient été recensés sur notre territoire.

Il est cependant important de se demander si les carrefours giratoires sont accessibles pour l’ensemble des citoyens. Le gouvernement québécois s’est d’ailleurs posé cette question en 2011, lorsqu’il a lancé un programme de recherche en sécurité routière. Déjà à ce moment, la question de l’accessibilité pour les personnes aveugles et amblyopes était déjà soulevée puisque nous pouvons lire dans le guide d’appel de proposition le besoin de recherche suivant : « Déterminer les problématiques particulières de ce type d’aménagement pour les piétons (incluant les personnes à mobilité réduite, les amblyopes et les aveugles) et les cyclistes. »

Le RAAQ a été surpris, lorsque nous avons consulté le rapport de recherche qui a été déposé en 2015, de constater que les personnes non voyantes n’ont pas été incluses dans cette recherche, malgré l’identification très claire de ce besoin. Tout au plus pouvons-nous lire dans la section « Limitations et perspectives » : « L’enquête sur les préférences des piétons envers les carrefours giratoires a attiré de l’intérêt de la part de groupes représentants les personnes handicapées, mais il n’a pas été possible de recueillir assez de réponses de la part de ces personnes pour en faire l’analyse et contraster leurs réponses de celles de la population générale. Les carrefours giratoires sont une source d’inquiétude pour ces usagers, car ils en sont moins familiers et les considèrent moins sécuritaires que les carrefours à feux (qui peuvent être équipés d’un signal sonore). Une suite à ce travail est d’explorer le rapport entre les perceptions et préférences des usagers avec leur sécurité objective. Cela a été tenté dans ce projet, mais le travail est limité par le nombre d’observations d’interactions entre piétons et véhicules. » (référence : SAULNIER, Nicolas. SAINT-AUBIN Paul. BURNS, Shaun. et al. Sécurité des carrefours giratoires, Rapport final de recherche, 2015.)

Contrairement à ce qu’affirme cette citation, les carrefours giratoires ne sont pas une source d’inquiétude pour les personnes non voyantes par manque de familiarisation à cet environnement. Ils sont des sources d’inquiétude parce qu’ils ne sont pas accessibles et ne permettent pas à une personne en situation de handicap visuel de traverser de manière sécuritaire.

Comme mentionné au chapitre précédent, les personnes aveugles utilisent différentes stratégies pour être en mesure de traverser une rue, reposant majoritairement sur l’écoute des bruits de la circulation. Force est de constater que le carrefour giratoire ne donne pas assez d’information sonore à un piéton non voyant pour lui permettre de le traverser. Voici une liste non exhaustive des différents problèmes éprouvés :

  • La procédure pour traverser les zones piétonnes se base uniquement sur l’analyse visuelle de la situation (regarder la circulation, s’assurer que l’automobiliste nous a bien remarqués et qu’il s’arrête pour nous laisser passer, etc.).
  • Dans les carrefours giratoires à plus d’une voie, même si un automobiliste s’arrête pour laisser passer un piéton, il n’est pas dit que les autres conducteurs auront vu la personne et s’arrêteront pour la laisser passer. Cela peut occasionner des accidents graves.
  • Les personnes aveugles utilisent beaucoup le bruit de la circulation pour maintenir une ligne d’orientation. Le fait qu’un carrefour soit circulaire rend cette tâche presque impossible.
  • Il est très difficile pour une personne non voyante de détecter les traverses piétonnières des carrefours giratoires.
  • Finalement, il est ardu de détecter l’orientation des véhicules aux sorties des carrefours giratoires et de comprendre les raisons de l’arrêt d’un véhicule en entrée de carrefour (piétons, circulation ou autre)

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de suspendre l’installation ce genre d’aménagement dans les milieux où des piétons pourraient être amené à circuler. Étant donné que certaines municipalités se sont dotées de ce type de carrefour emprunté par des piétons, il est impératif que le gouvernement mette en place une étude sur une façon de rendre les carrefours giratoires conforment aux normes d’accessibilité universelle. Cette étude doit obligatoirement inclure des tests utilisateurs pour évaluer l’efficacité des mesures proposées et doit être mise en place dès que possible.

Les feux sonores

Pour plusieurs personnes handicapées de la vue, la traversée des intersections peut être périlleuse en raison de l’absence de la circulation de véhicule parallèle. Afin de leur permettre de faire des traversées sécuritaires, le RAAQ recommande l’installation de feux sonores, car ils avisent les personnes du moment où ils doivent traverser et ils les aident à rester à l’intérieur du couloir piétonniers.

Cependant, la simple installation de quelques feux sonores dans une municipalité n’est pas suffisante pour garantir la sécurité des personnes aveugles et amblyopes. Comme l’ensemble des piétons, les personnes en situation de handicap visuel devraient être en mesure de savoir en tout temps lorsqu’il est sécuritaire de traverser. Pour cette raison, le RAAQ demande que la fonctionnalité des feux sonores soit intégrée aux feux lumineux dès la planche à dessin. Il est impératif que les opérateurs de feux de circulation incluent cela dans leurs cahiers de charge lorsqu’ils font un appel d’offres.

En attendant que cette mesure soit effective, le RAAQ demande d’inclure dans le code de sécurité routière des dispositions suivant lesquelles il y aurait obligation d’interdire le VDFR aux carrefours où l’installation d’un feu sonore est recommandée par un spécialiste en orientation et mobilité des Centres de réadaptation en déficience visuelle.  En effet, pour des raisons évidentes de sécurité, la norme québécoise sur les feux sonores exige que le virage à droite sur feu rouge soit interdit aux carrefours où ils sont installés. Comme les municipalités répugnent à retirer à leurs automobilistes le privilège du VDFR, même sur une base limitée, elles refusent de plus en plus souvent d’installer les signaux sonores là où ils sont pourtant recommandés par les spécialistes. Il est inacceptable de nuire à la sécurité de déplacement d’un pan entier de la population pour des considérations de fluidité de circulation.

Finalement, trop souvent les associations se frappent à une ignorance complète de la situation au niveau de la population. Des campagnes de promotion et une réglementation adéquate sont nécessaires pour assurer l’implantation harmonieuse des feux sonores.

Conclusion

À la lumière de ce mémoire, il est facile de réaliser l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir avant de pouvoir dire que le réseau routier est pleinement sécuritaire pour les personnes en situation de handicap visuel. Cependant, le Regroupement des aveugles et amblyope du Québec souhaitent que la SAAQ prenne en considération les différentes propositions que nous lui avons faites. Pour plus de question ou de détails, n’hésitez pas à communiquer avec nous.