réalisé par le Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ)
Table des matières
Comprendre les services de réadaptation en déficience visuelle en 2024 2
Définition générale de l’adaptation/réadaptation. 2
Qui offre les services de réadaptation en déficience visuelle au Québec ? 2
Admissibilité et niveau de priorité. 2
Les professionnels de la réadaptation en déficience visuelle. 4
L’évaluation globale des besoins et l’offre de services. 5
Que se passe-t-il une fois l’épisode de service terminé?. 6
CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue. 7
CIUSSS de la Capitale-Nationale. 8
CISSS de Chaudière-Appalaches. 8
CISSS de la Montérégie-Centre. 10
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal 11
CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. 11
CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean. 12
Une formation éloignée des besoins terrain. 14
Une déshumanisation du processus d’intervention. 15
Comprendre les services de réadaptation en déficience visuelle en 2024
Définition générale de l’adaptation/réadaptation
Les services d’adaptation-réadaptation sont des services spécialisés qui relèvent du programme-services en déficience physique et correspondent à un ensemble d’activités permettant d’actualiser le potentiel d’autonomie de la personne selon ses aspirations et objectifs en agissant à la fois sur le développement de ses habiletés, sur la compensation de ses incapacités et sur la réduction des obstacles environnementaux. Ils visent à assurer une pleine participation sociale. Ces services sont circonscrits dans le temps et prennent fin à la reprise des habitudes de vie ou dès l’atteinte des objectifs de participation sociale.
Qui offre les services de réadaptation en déficience visuelle au Québec ?
Les services de réadaptation en déficience visuelle sont donnés par les centres de réadaptation rattachés aux différents centres intégrés de Santé et Services sociaux (CISSS) et centres intégrés universitaires de Santé et Services sociaux (CIUSSS) de la province.
Admissibilité et niveau de priorité
Lorsqu’une demande de service est adressée à un centre de réadaptation, l’établissement a sept jours pour évaluer et valider l’admissibilité de la personne. Celle-ci est alors mise sur une liste d’attente et le délai d’accès aux services dépendra d’un niveau de priorité :
- Pour un niveau de priorité « urgent », le début des services doit se faire à l’intérieur de trois jours suivants la demande.
- Pour un niveau de priorité « élevé », le début des services doit se faire à l’intérieur de 90 jours suivants la réception de la demande.
- Pour un niveau de priorité « modéré », le début des services doit se faire à l’intérieur de 365 jours suivants la réception de la demande.
Notons que dans le Plan d’accès aux services pour les personnes ayant une déficience, le MSSS précise que le début des services est marqué par une première rencontre avec l’usager pour l’élaboration d’un plan d’intervention. Ce premier service est donc une rencontre d’évaluation et d’information et non un service effectif de réadaptation. C’est pourtant ce premier service, qui n’en est pas vraiment un, qui permet d’arrêter le compteur dans le calcul de l’attente, le délai d’accès au deuxième service n’étant pas colligé par le MSSS.
Examen en basse vision
Lors de l’ouverture d’un dossier au centre de réadaptation, la personne sera inscrite sur une liste d’attente pour passer un examen en basse vision. Un optométriste du centre de réadaptation pourra mesurer l’atteinte visuelle et évaluer la vision fonctionnelle à l’aide d’appareils spécialisés. Les résultats de cet examen permettront :
- D’obtenir une attestation de déficience visuelle.
- D’être inscrit au programme des aides visuelles de la RAMQ selon certains critères spécifiques. C’est par ce programme que le centre de réadaptation prêtera gratuitement des aides techniques qui faciliteront la réalisation des activités quotidiennes de la personne.
- D’obtenir des aides optiques telles des loupes, des lentilles spécialisées ou des filtres solaires.
- De recevoir des services de réadaptation adaptés aux besoins de la personne.
Notons que l’examen en basse vision est un service spécialisé qui demande une expertise particulière. Ce n’est pas n’importe quel optométriste qui peut le donner. Les optométristes en basse vision jouent donc un rôle primordial dans le continuum de service en réadaptation.
Les professionnels de la réadaptation en déficience visuelle
Il existe deux types d’intervenants spécialisés en déficience visuelle : le spécialiste en orientation et mobilité (SOM) et le spécialiste en réadaptation en déficience visuelle (SRDV).
Le SOM est un professionnel qui accompagne les personnes aveugles et malvoyantes dans l’acquisition de stratégies pour s’orienter et se déplacer de manière autonome et sécuritaire.
Le SRDV est un professionnel qui aide les personnes aveugles et malvoyantes à utiliser des stratégies et des aides techniques adaptées pour maintenir ou retrouver de l’autonomie et de l’aisance dans la réalisation de leurs habitudes de vie.
Pour obtenir le titre de SOM ou de SRDV, il faut avoir un diplôme de premier cycle dans un domaine relié à la relation d’aide puis une maîtrise en science de la vision, option Intervention en déficience visuelle.
En plus de ces deux types de spécialistes, selon le centre de réadaptation, il est possible que la personne reçoive les services de travailleurs sociaux, de psychologues ou d’autres types d’intervenants qui l’accompagneront dans son cheminement en réadaptation.
Il est important de noter que devant la pénurie de SRDV, certains centres de réadaptation confient des tâches normalement réservées à des SRDV à des ergothérapeutes ou à des techniciens en éducation spécialisés.
L’évaluation globale des besoins et l’offre de services
Avant de débuter les interventions avec les différents spécialistes du centre de réadaptation, un intervenant procédera avec la personne à une évaluation globale de ses besoins. L’évaluation s’articulera autour de la situation de vie de la personne, son état de santé et sa capacité d’adaptation à la déficience visuelle.
Les informations récoltées permettront de déterminer les services qui pourront être offerts au centre de réadaptation ou dans les différents milieux de vie de la personne (domicile, école, travail, lieu d’hébergement, etc.).
Services de réadaptation
Les épisodes de service s’articulent autour des différents besoins de la personne handicapée visuelle. Voici quelques exemples du travail qui devrait être fait par les intervenants spécialisés :
- Pour les déplacements: Le SOM pourra enseigner des techniques de déplacement sécuritaire et autonome avec ou sans aide à la mobilité (canne blanche, chien-guide, télescope, etc.). La personne pourra aussi se familiariser avec des trajets qu’elle emprunte régulièrement. Selon la situation de la personne, un SOM pourra procéder à une inscription au transport adapté.
- Pour la lecture et l’écriture: Le SRDV pourra attribuer des aides à la lecture et à l’écriture. Il pourra aussi enseigner l’utilisation de base de ces aides, et procéder à l’inscription de la personne à différentes bibliothèques adaptées.
- Pour les activités de la vie domestique : Le SRDV pourra enseigner des techniques pour la cuisine, la prise des repas et l’entretien du domicile. Il pourra, dans la mesure du possible, adapter les appareils électroménagers et apprendre à la personne leur utilisation. Il pourra aussi faire des recommandations pour améliorer l’accessibilité du domicile, par exemple en ajustant les conditions d’éclairage, en augmentant les contrastes de couleurs et en utilisant des repères visuels, tactiles et sonores.
- Pour les soins personnels ou de santé : Le SRDV pourra enseigner des trucs et astuces pour l’agencement des vêtements, les soins corporels, la gestion de la médication, etc.
- Soutien psychosocial : Les centres de réadaptation offrent du soutien psychologique dans le processus d’adaptation à la déficience visuelle. Cela peut inclure de l’accompagnement et de la sensibilisation aux conséquences de la déficience visuelle pour l’entourage. Des formations sont aussi offertes aux proches, notamment la technique de guide. De plus, des intervenants sociaux peuvent informer la personne des ressources disponibles.
- La réadaptation au travail ou aux études : Le SRDV pourra attribuer les aides techniques nécessaires pour réaliser les activités en lien avec les études ou le travail de la personne (logiciels, télévisionneuse, numériseur, imprimante-braille, etc.). Le SRDV et le SOM pourront aussi aider dans l’aménagement du poste de travail (adaptation des outils informatiques, gestion du bruit ambiant, ajustement de l’éclairage, ergonomie, etc.). Le SRDV pourra enseigner des stratégies pour faciliter la réalisation des tâches avec les aides techniques adaptées. Finalement, en collaboration avec des organismes partenaires, certains intervenants du centre de réadaptation pourraient soutenir la personne dans son processus de recherche et d’obtention d’un emploi.
Que se passe-t-il une fois l’épisode de service terminé?
Lorsque tous les besoins indiqués à l’évaluation initiale auront été couverts par les différents services requis, les intervenants du centre de réadaptation fermeront l’épisode de services ». Cela signifie que le dossier au centre de réadaptation restera dormant jusqu’à ce qu’une nouvelle demande de services soit faite. La personne devra donc repasser par le service d’accueil, d’évaluation et d’orientation du centre de réadaptation à chaque nouvelle demande de services liée à des besoins ponctuels. Notons que l’épisode de services est une nouveauté introduite par la réforme de 2015. Avant cela, le dossier de l’usager demeurait actif, même en l’absence de prestation de service.
Délai d’accès aux services
Afin de brosser un portrait réaliste de l’état des services en réadaptation en déficience visuelle, le RAAQ a fait une demande d’accès à l’information à l’ensemble des CISSS et des CIUSSS du Québec. Cette demande concernait les délais pour obtenir des services d’orientation et mobilité, de réadaptation en déficience visuelle et d’optométrie en basse vision. Chaque CISSS ou CIUSSS semble avoir compilé ses données d’une façon différente. Dans certains cas, les délais indiqués couvrent le temps d’attente entre la demande de service et l’évaluation des besoins, ainsi qu’entre l’évaluation des besoins et la réception du service. Dans d’autres cas, le temps d’attente entre la demande de service et l’évaluation des besoins n’est pas comptabilisé, alors que cette attente peut aller de trois mois à un an. Le RAAQ a donc tenté d’uniformiser les données du mieux possible, mais dans plusieurs cas, il nous est impossible de savoir si ce délai inclut le délai pour avoir accès à l’évaluation des besoins. Lorsqu’un premier délai n’est pas précisé en introduction, il est possible, voire probable, qu’il faille ajouter un délai supplémentaire variant entre 3 mois et un an aux données présentées.
CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : 121,7 jours
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 365 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 30,4 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 121,7 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 121,7 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : jusqu’à 730 jours
CISSS du Bas-Saint-Laurent
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : 55,2 jours
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 218,4 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 84,3 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 237,3 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 153 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : 290 jours
CIUSSS de la Capitale-Nationale
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : 91,3 jours, sauf le service de familiarisation à un nouveau milieu de vie qui a un délai de 5 jours.
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 243,3 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 91,3 jours, sauf pour les personnes étudiantes et en emplois et les réparations qui ont un délai de 14 jours.
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : Il n’y a pas de chiffre disponible pour cette variable.
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 304,2 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : 243,3 jours
CISSS de Chaudière-Appalaches
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : Il n’y a pas de niveau de priorité élevée.
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 109 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 7,69 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 76,16 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 176 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : jusqu’à 730 jours
CISSS de la Côte-Nord
Il n’y a pas de service d’orientation et de mobilité au CISSS de la Côte-Nord. Les personnes handicapées visuelles doivent être prises en charge au CIUSSS de la Capitale-Nationale.
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 74 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 136 jours
Il n’y a pas de service d’optométrie en basse vision au CISSS de la Côte-Nord. Le CISSS nous indique que les personnes handicapées visuelles sont recommandées à l’externe.
CIUSSS de l’Estrie
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : 136 jours
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : Il n’y a pas eu de niveau de priorité modéré.
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 81 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 315 jours
Le CIUSSS de l’Estrie n’a pas été en mesure d’extraire les délais d’attente pour les services d’optométrie en basse vision.
CISSS de la Gaspésie
À noter que c’est le CISSS de la Gaspésie qui est aussi chargé d’offrir des services de réadaptation en déficience visuelle aux Îles-de-la-Madeleine.
Le CISSS de la Gaspésie n’est pas en mesure d’extraire les données concernant le niveau de priorité du Plan d’accès pour les disciplines SOM et SRDV ainsi que pour les rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision.
- Rencontre avec un SOM : 212,9 jours
- Rencontre avec un SRDV : 346,8 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 483.6 jours
CISSS de la Montérégie-Centre
L’Institut Nazareth et Louis-Braille (INLB), rattaché au CISSS de la Montérégie-Centre, seul centre de réadaptation spécialisé uniquement en déficience visuelle au Québec, n’a pas été en mesure d’extraire les délais d’attente pour accéder aux différents services en déficience visuelle.
CISSS de Lanaudière
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : Il n’y a pas de niveau de priorité élevée.
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 120 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : Il n’y a pas de niveau de priorité élevée.
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 146 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 127 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : 79 jours
CISSS des Laurentides
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : 91,3 jours
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 547,5 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 91, 3 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 365 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 243,3 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : jusqu’à 547,5 jours
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : 56,7 jours
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 336,75 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 92,5 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 330,75 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 29 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : 32 jours
CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : 141 jours
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 124 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 161 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 77 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 426 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : 459,84 jours
CISSS de l’Outaouais
Le CISSS de l’Outaouais ne peut pas nous donner de détail concernant le niveau de priorité. Il ne peut pas non plus nous préciser le délai pour obtenir une évaluation globale des besoins. Cependant, une fois une première rencontre effectuée, les délais sont de :
- Rencontre avec un SOM : 46,55 jours
- Rencontre avec un SRDV : 47,30 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : jusqu’à 304,2 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : jusqu’à 91,3 jours selon l’évaluation de l’optométriste.
CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité élevé : 30,4 jours
- Rencontre avec un SOM, niveau de priorité modéré : 547,5 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité élevé : 45,6 jours
- Rencontre avec un SRDV, niveau de priorité modéré : 608,3 jours
- Première rencontre avec un optométriste en basse vision : 486,7 jours
- Rendez-vous de suivi avec un optométriste en basse vision : 273,8 jours
Enjeux et constats
Depuis plusieurs années, le RAAQ constate la détérioration des services de réadaptation, situation que nous avons dénoncée à maintes reprises dans des sorties publiques. En 2025, les services se sont tellement dégradés que le constat est sans appel : la maison brûle. Les personnes handicapées visuelles peinent à recevoir des services, plusieurs régions du Québec sont actuellement en bris de service et aucune mesure n’est prise pour tenter de régler la situation.
Le RAAQ soulève quatre enjeux majeurs qui minent les services de réadaptation en déficience visuelle du Québec.
Le manque d’information
Depuis 2015, les spécialistes en déficience visuelle utilisent une nouvelle méthode pour dresser un plan d’intervention en réadaptation. Plutôt que de présenter à l’usager l’ensemble des services disponibles, on se contente de lui demander quels sont ses besoins en vue d’y répondre. C’est un peu comme si on se présentait au restaurant et que le serveur, au lieu de nous donner le menu, nous demandait simplement ce qu’on aimerait manger. Il est important de comprendre que les personnes qui vivent une perte visuelle et qui débutent leur processus de réadaptation connaissent rarement les différents services et les aides techniques qui pourraient augmenter leur autonomie et briser leur isolement. Faute de quoi elles n’en font pas la demande, et elles en sont privées.
Le RAAQ entend souvent des témoignages déchirants de personnes qui ont appris des années trop tard l’existence d’outils et de services qui auraient pu faciliter leur quotidien. Pensons à des personnes privées d’aide à la lecture parce qu’elles en ignoraient l’existence.
Cette approche d’intervention axée sur les besoins expressément nommés par l’usager prive des centaines de personnes d’une autonomie importante.
Le RAAQ demande que le ministère de la Santé et des Services sociaux revienne sur cette orientation et recommence à présenter toute la gamme de services offerte aux personnes handicapées visuelles lors de leur admission en réadaptation.
Une pénurie de personnel
Partout au Québec, les centres de réadaptation peinent à trouver des spécialistes en réadaptation en déficience visuelle (SRDV) et des spécialistes en orientation et mobilité (SOM), deux disciplines centrales dans le processus de réadaptation des personnes aveugles ou malvoyantes. Les SRDV aident ces personnes à utiliser des stratégies et des aides techniques adaptées pour réaliser les activités essentielles de la vie quotidienne comme la cuisine, l’informatique, la lecture et l’écriture. Les SOM aident ces personnes à acquérir des stratégies pour s’orienter et se déplacer de manière autonome et sécuritaire, notamment à l’aide d’une canne blanche ou d’un chien-guide.
Par le passé, ces tâches constituaient des postes techniques, généralement assurés par des techniciens en éducation spécialisée. Puis, pour remplir ces rôles, il a fallu obtenir un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS). Finalement, aujourd’hui pour agir à titre de SRDV ou de SOM dans un centre de réadaptation, il faut obtenir une maîtrise en sciences de la vision, option Intervention en déficience visuelle. Une maîtrise très peu connue, uniquement offerte à l’Université de Montréal.
Une fois ce diplôme en poche, au regard de la réalité du marché du travail, la situation n’est pas rose. Hormis dans les régions administratives comptant de grands centres urbains, très peu de postes sont offerts : parfois deux, peut-être trois, pour couvrir toute une région administrative.
Rien d’étonnant à ce que peu de personnes ne soient intéressées à suivre cette formation. Nous savons que dans les six dernières années, seulement 82 personnes ont obtenu une maîtrise en Intervention en déficience visuelle. De ces 82 personnes, certaines se sont concentrées sur l’aspect recherche et ne font pas d’intervention. Résultat : les centres de réadaptation peinent à pourvoir les postes offerts.
La situation est tellement difficile que plusieurs tâches qui devraient normalement être réalisées par des SRDV, par exemple l’adaptation d’appareil électroménager, sont confiées à des techniciens en éducation spécialisée ou à des ergothérapeutes.
Le RAAQ demande que le MSSS travaille de concert avec le milieu universitaire pour développer une formation de premier cycle plus en concordance avec la réalité du travail terrain d’un SRDV. Le RAAQ demande aussi au MSSS de réviser ses exigences en matière de formation pour occuper les postes de SRDV et de SOM en centre de réadaptation.
Une formation éloignée des besoins terrain
Après avoir recueilli plusieurs témoignages de personnes handicapées visuelles ayant récemment eu un épisode de service avec un SRDV, il est possible de constater que la maîtrise en science de la vision n’est pas toujours adaptée aux connaissances techniques requises pour intervenir sur certains aspects.
En effet, il est courant pour des usagers de se faire attribuer des outils sans recevoir de formation parce que l’intervenant ne sait pas comment les utiliser. Parfois, l’intervenant n’apportera tout simplement pas d’aide ou d’autres fois, il proposera à l’usager de contacter une ressource communautaire qui pourra peut-être l’aider.
Il semble être aussi fréquent que des personnes reçoivent des services incomplets. Pensons par exemple à un usager dont l’électroménager ne sera que partiellement adapté, pour une utilisation minimale pas toujours suffisante.
Le RAAQ demande que le MSSS s’assure que la formation des SRDV réponde aux impératifs des tâches que les personnes auront à faire une fois en emploi.
Une déshumanisation du processus d’intervention
Les besoins de réadaptation d’une personne aveugle ou malvoyante sont souvent variés, ils évoluent au fil du temps et se poursuivent généralement tout au long de la vie. Pour répondre à cette évolution, au début des services de réadaptation, les personnes avaient un intervenant pivot permanent qui les suivait tout au long de leur vie. Pour une demande, il suffisait d’un simple appel à une intervenante qui connait la personne et sa situation. Aujourd’hui, il n’y a plus d’intervenant pivot permanent. La technocratisation de la réadaptation et les lourdeurs bureaucratiques ont entrainé une déshumanisation des services. Pour chaque besoin ponctuel, il faut faire une demande à un accueil centralisé.
La multiplicité des questionnaires et des formulaires à remplir pour justifier la demande de service ainsi que le travail en silos font en sorte que la réadaptation ressemble plus à une tâche à accomplir pour la gestion d’un dossier qu’à un accompagnement personnalisé favorisant l’autonomie.
En outre, les délais sont si longs que parfois entre la demande de service initiale et l’intervention d’un SRDV, de nouveaux besoins apparaissent. Impossible pourtant de répondre à ce besoin s’il ne fait pas partie de la demande initiale ou s’il n’est pas dans la liste des tâches assignées à l’intervenant.
Prenons un exemple concret : une personne aveugle fait une demande de service pour être en mesure d’utiliser son ordinateur et attend plusieurs mois pour recevoir ce service. Entre-temps, elle a une nouvelle cafetière et lorsque le SRDV vient rendre son service informatique, elle lui demande de prendre 5 minutes pour adapter sa cafetière. Cependant l’intervenant lui répond que ce n’est pas dans ses tâches et qu’il faut faire une autre demande de service. Le SRDV est présent, il s’est déplacé et il a les compétences pour adapter les électroménagers, mais l’usager doit faire une nouvelle demande, attendre plus d’un an qu’un autre intervenant se déplace pour une adaptation qui ne prendra que 5 minutes. Et pendant ce temps, l’usager ne boit pas son café. Non seulement un refus comme celui-là déshumanise la personne qui reçoit le service, mais c’est un gaspillage de temps et d’énergie du réseau de la santé.
Le RAAQ demande au MSSS de rétablir le concept d’intervenant pivot qui accompagne les personnes tout au long de leur processus de réadaptation, sans restriction dans le temps. Cela permettra d’offrir des services complets et adéquats aux personnes tout en intégrant de la flexibilité dans les interventions.
Bibliographie
- Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2017). Cadre de référence pour l’organisation des services en déficience physique, déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme.
- Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2018). Cadre de référence de l’approche de partenariat entre les usagers, leurs proches et les acteurs en santé et en services sociaux.
- Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2017). Évaluation de l’intégration des services pour les personnes ayant une déficience physique, intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme (DP, DI-TSA).
- Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2015). Offre de service pour les personnes ayant une déficience physique : Afin de faire ensemble.
- Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2008). Plan d’accès aux services pour les personnes ayant une déficience.